Tiré de l'oeuvre de l’écrivain Renzaburo Shibata tout comme "La lame diabolique", "Tuer !" présente à nouveau un anti-héros foncièrement bon, un sabreur autodidacte à la technique singulière proche de celle de Nakadai dans "Le sabre du mal", un redoutable assassin qui n’en garde pas moins un cœur pur et l’espoir constant, si mince soit-il, d’oublier son passé tragique en s’accrochant à la vie.
Ichikawa Raizo particulièrement sobre et habité incarne ce fils aux origines obscures qui perd tour à tour les femmes qu’il aime et voit en son nouveau maître haut placé, un dernier espoir de retrouver un père qui l’aime et un futur plus apaisé.
D’une durée de 1h10, ce chambara nihiliste par excellence garde de son format relativement court son impact, son traitement épuré, compact, grâce notamment à la simplicité de son histoire. Est-ce la présence de Kaneto Shindo au scénario qui apporte aussi cette puissance limpide, cette force brute, cette pureté précieuse propre aux œuvres tels que "L’île nue" ? Je ne saurais l’assurer mais cette force est bien là, ce sentiment que tout dans Tuer est intimement imbriqué pour délivrer une œuvre proche de l’instant de grâce du chambara tendance noir.
L’esthétisme de Misumi participe d'un soutien colossal. Cet assassinat pendant le générique tout d’abord, où une courtisane immobile et irradiante explose avec le titre qui s’incruste : Tuer !, ou cette autre femme, nue et enragée qui poignarde ses assaillants le corps en sueur, jamais montré mais puissamment sensuel, et ce meurtre aussi, sec, revanchard, qui annonce la mort du coeur déjà, que Misumi filme dans un paysage aride, jonché de troncs dépéris et de terre stérile jaunâtre. Une scène comme un négatif du combat final passionné et fleuri de "La lame diabolique", en plus singulier encore, épuré dans chacun de ses plans, pour que chaque image, chaque instant, chaque mouvement de "Tuer" dégage une puissance narrative qui se suffit à elle même, une beauté mystique hors du temps qui décuple l’impact de son final à l’image de Ichikawa perdu dans le labyrinthe où il perd pied. Cette manière de donner vie aux personnages, peu bavards, par la seule beauté du plan et des mouvements est ici portée à sa quintessence sensorielle. Chaque mouvement lent, précis, presque invisible de l’Homme y est magnifique et pleinement imprégné de la culture théâtrale japonaise.
A l’heure où le sabreur de cinéma n’en a plus que les contours informes, qu’il est bon de revenir aux sources et de s’abreuver d’un vrai chambara nihiliste qui a tout autant à donner sur sa forme que sur son fond et ce dans la plus belle des contemplations. Mystique.