Prendre de front la violence pour en décliner les ravages : tel est le parti pris de l’uppercut radical qu’est Tyrannosaur. Nulle fascination, nulle complaisance, mais un état des lieux sans appel : dans un univers social où l’aboiement semble être la seule manière réplique envisageable, il s’agit de montrer les crocs pour ne pas tendre la gorge à son interlocuteur. La grande force de la violence ici mentionnée est qu’elle ne se justifie jamais par une quelconque nécessité : jamais on évoque l’argent, ou la correction par une quelconque mafia : les violents comme les victimes ne l’utilisent que comme l’ultime moyen de communication, ayant renoncé à toute autre possibilité d’expression.
Centré dans un premier temps autour du formidable personnage du tout aussi sensationnel Peter Mullan, le récit investit les bas-fonds d’une société alcoolisée, sans autre ligne d’horizon que les briques, sans autre astres que les néons d’un pub. A la lisière de la démence, Joseph laisse éclater la colère qu’il a contre le monde, et avant tout lui-même. Tout y passe, des cloisons vitrées aux animaux, des rencontres inopportunes aux voisins. Ici, le deuil s’exprime à coups de masse contre un abri de jardin, et les derniers relents de force sont moins dévolus à la survie qu’à détruire les fragments de rêve qui peuvent encore subsister dans quelques âmes errantes.
Celle qui croise Joseph, Hannah, propose une nouvelle déclinaison de cette noire exploration. Plutôt aisée, croyante, elle propose de prier pour lui, manière détournée de refouler ses propres abymes, à savoir un enfer conjugal à peine dicible.
Le récit pourrait se résumer à la rencontre de deux récifs abimés par une tempête au long cours. Il pourrait dériver vers un pathos démesuré, ou proposer les voies d’une rédemption un peu trop facile pour qu’on y adhère. Il se contente, en réalité, de suivre son cours. Quelques répits permettent de quitter le misérabilisme le plus noir, sans qu’on puisse pour autant se permettre de véritablement espérer. C’est là l’une des grandes réussites du film, que de mettre en place une empathie pour des personnages tour à tour victimes et condamnés à devenir bourreaux.
La lumière laiteuse de la photographie, l’insistance sur les horizons bouchés de l’espace et les intérieurs blafards est pensé au-delà de la simple laideur d’un milieu social. A plusieurs reprises, une grande profondeur de champ permet de montrer des personnages brisés, inaptes au contact tant ils sont habitués à la haine et aux cris. La géographie spatiale de la rue de Joseph participe de la même idée : un jardin, dans lequel il va détruire l’abri d’un chien victime, et un voisinage dans lequel sévira un chien bourreau, extension de son maître haineux. Ces échos désespérés, cette spirale tragique conduira les protagonistes à un irréparable paradoxalement salvateur.
Mais de la même façon qu’on ne nous sert jamais le baume attendu, on n’entrave pas la possibilité d’un dépassement. Le constat, terrible, d’une société enlisée dans la violence n’est que le symptôme d’un désespoir, celui d’une solitude insupportable : « Do I smell like a dead animal ? », demande son mari à Hannah avant de la violenter.
Et les récifs, au gré de l’inéluctable dérive des continents, peuvent finir par se rencontrer.