Petit film de braquage fort sympathique, Gambit s’ouvre sur un recrutement d’une danseuse exotique dans un bouge de Honk-Kong : Michael Caine y embauche Shirley MacLaine pour jouer le sosie de l’épouse décédée d’un riche oriental qui, sous son charme, ouvrira ses appartements et le trésor qu’il y garde jalousement. Durant une demi-heure, le plan se déroule dans une atmosphère étrange et d’une solennité assez fascinante : la femme ne prononce pas un mot, se contentant d’apparaître dans les apparats les plus exotiques, tandis que le pigeon se pâme et que le cambrioleur met à exécution son plan savamment ourdi.
(Spoil)
Une brusque rupture, à l’issue du vol, nous ramène au bar initial. Tout ce que nous venons de voir n’était en réalité que l’exposition du plan par le personnage de Caine, et qui demande désormais l’approbation de MacLaine, qui s’avérera aussi prolixe que sa projection était mutique (« You're not even honest enough to be a crook », lui lancera-t-elle notamment). Cette sorte de variation amusée sur l’effet Rashomon va ajouter une saveur à tout le récit à venir, qui sera systématiquement comparé au fantasme initial, que ce soit dans la prestance d’une femme objet, la stupidité du riche dupé ou la facilité avec laquelle on volera le buste convoité. En un sens, Harry s’est, à proprement parler, fait un film, que nous avons vu défiler in extenso. Le second, présenté comme la réalité, y ajoutera des grains de sable, des inattendus, et une complexité nouvelle à des personnages qui seront bien moins conciliants. MacLaine s’en donne à cœur joie pour clouer le bec du séducteur cambrioleur, (« As far as I’m concerned, your’re far to human », concluera Caine) dans un numéro de screwball où le charme des comédiens est à son zénith. L’atmosphère allie des aventures proches de l’univers de Tintin (ligne claire, couleurs pop, sympathie généralisée des personnages, ambiance bon enfant) et le sel narratif d’un Charade, ou le couple passe son temps à marivauder en jouant des mensonges, des twists et de la manipulation.
Les scènes d’action se conjuguent donc à une guerre des sexes bien sentie, notamment lors d’un montage alterné qui voit la demoiselle palier aux déficiences d’un cambrioleur qui se croyait pourtant maitre du temps et de l’espace : sa souplesse (dans tous les sens du terme) et sa malice feront éclater au grand jour, si besoin était, la compatibilité hors pair d’un couple qui n’attend que les circonstances favorables pour se déclarer.
De son côté le milliardaire, bien plus moderne et avisé que prévu, voit très vite claire dans le jeu des visiteurs un peu trop opportuns : diverti, il leur laissera une certaine latitude, ravi de voir se débattre dans l’improvisation un couple à qui on met des bâtons dans les roues. Une posture qui renvoie bien entendu à celle du spectateur, aux premières loges d’un film aussi ludique que divertissant.