McCreedy coopératif
En 1954, John Sturges était au début de sa carrière et n'avait pas encore signé les films qui le rendront célèbre, que ce soit Les Sept Mercenaires, La Grande Evasion ou Règlement de compte à OK...
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le 31 mars 2016
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« De tous les dangers, le plus grand est de sous-estimer son ennemi. » ...qu'il soit borgne et petit comme Columbo ou petit et manchot comme Tracy ici.
Mon texte n'est juste qu'une série de remarques sur cette merveille.
En repensant au film, c'est très émouvant et si délicat, que le plus beau personnage est invisible, mais représenté par de petites fleurs sauvages.
Je l'ai revu grâce à Patrick Brion au Cinéma de minuit où ses 78 minutes sont visibles jusqu'au 27/05/2023.
Il commence par un possible hommage aux frères Lumière puisque la caméra est un moment face au train qui nous fonce aussi dessus...John Sturges connait, lui, l'histoire du Cinéma.
Scène, vitesse et train dés l'introduction du film qui sont symboles aussi de la force et ouragan que les locaux sous estiment et ne voient pas venir.
Ou alors il est aussi symbole de la marche et train "du progrès"?
Le 'progressisme' en objet?^^...fonçant sur les obtus futurs "Trumpistes" bornés...et pas volontaires pour changer d'eux-mêmes; ils vont se prendre le 'bullet train' du changement qui va traverser leurs habitudes?
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Le revoir avec plaisir et mieux le comprendre m'a aussi fait penser en moins drôle aux 'Banlieusards' de Joe Dante: sur aussi l'attitude et la méfiance envers le nouveau voisin différent?
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Un inconnu enquête: j'admire totalement, surtout en ce moment, comment le beau personnage de Spencer Tracy réussit à se maîtriser et ne pas répondre de suite aux provocations ...il ne se met pas en colère: la provocation à la colère étant la technique machiavélique encore très à la mode.
Je ne l'ai pas lu mais Machiavel aurait théorisé qu'en cas de tort, une technique échappatoire serait de faire mettre en colère son adversaire, pour le décrédibiliser...c'est très contemporain, comme ce film.
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Détail: je mets 8 et pas le 10 qu'il aurait grâce à son fond et histoire, car je ne suis pas non plus 100% convaincu par Tracy en Bruce Lee...
(JeanG55 dit que ce n'est pas du kung-fu mais du close combat: ce qui me rappelle que si Spencer Tracy a appris à se battre qu'avec un bras, Sean Connery se battait avec un seul pouce dans 'Presidio: Base Militaire, à San Francisco' de Peter Hyams; c'est pas moins crédible...il faut viser "knee nose balls" m'apprenait un coach d'auto-défense: "les tibias, nez et couilles"). ****************************************************************************************************
Mini spoil:
En hors-champ, je maintiens 100% que c'est évidemment aussi l'histoire d'une sorte de Jean de Florette voulant faire pousser de l'authentique. Comme Jean de Florette, il se fait aussi vendre un terrain sans eau, juste avant la guerre: il n'est pas bossu, n'est pas afro descendant, mais asiatique.
Mais son lien avec Jean de Florette nous le rend proche. Le cinéma, comme la religion, lie les gens et les personnages à travers les oeuvres, les âges et les pays.
Tout le hors-champ du film de John Sturges est aussi magnifique et fort: il aura la classe de ne pas nous le montrer en flashback comme beaucoup de films le feraient désormais pour nous mâcher le travail.
Le Stéphane Plaza ou Le Papet local a vendu au Jean de Florette nippon, un terrain et rivière asséchée aussi sans valeur.
Le pseudo japonais travaille alors "comme-un-nègre" au point de creuser "un puits de 35 mètres" comme le raconte Walter Brennan à Macreedy, si on écoute bien (si).
Walter Brennan joue ici "avec".
("avec ou sans?" était ce qu'il demandait aux réalisateurs en auditions...ils parlaient de ses dents).
Ce puits est clé dans l'histoire, cette eau est clé dans l'histoire: c'est ce que découvre l'homme seul qui enquête contre quasi tous. Ce puits et cette recherche d'eau à la Jean de Florette sont clé: si on écoute bien; c'est ce que découvre l'excellent Spencer Tracy. Car c'est ce qui a enragé encore plus son assassin.
Comme Daniel Plainview dans 'There will be blood', le japonais a trouvé sa fortune au fond d'un puits qu'il s'est épuisé à creuser: il trouve l'eau qui est son pétrole.
L'eau que l'ancien propriétaire n'avait pas trouvé.
La sorte de César Soubeyran joué par l'alors glaçant et agaçant Robert Ryan est furax, vexé.
Il se sent la risée du village à cause de ce "grain-de-riz" sourcier qui vient, lui, de démultiplier la valeur de l'ex propriété nulle.
Mais aussi l'ex propriétaire Robert Ryan vient d'être réformé (P4?) contre son gré. Alors que la plupart des hommes vont participer à la Seconde Guerre Mondiale.
Tout ça est hors-champ et raconté. Et le restera. C'est au spectateur de bien écouter et de se faire le film.
Robert Ryan est encore plus vexé et humilié d'être réformé aux yeux de tous, que d'avoir vendu aux yeux de tous pas assez cher un terrain qui valait beaucoup.
Sous prétexte de participer à l'effort national de guerre, il tue l'asiatique.
Ce pauvre asiatique était une sorte de Jīnzu/Jean de Florette, sa différence, sa bosse, était sa couleur, mais qui aurait , lui, trouvé la précieuse "eau des collines".
"L'eau des collines" tant recherchée aussi chez Pagnol et ailleurs.
"L'eau des collines" qui nous lie tous.
Ce sont les même types et soucis de villageois.
La communauté complice à laquelle fait face Spencer Tracy serait celle du village de Pagnol. Ou celle qu'on croise dans Dupont Lajoie qui cache aussi le crime. (pour ceux qui ont oublié, il y aussi un crime dans Jean de Florette, secoué de son olivier, le vieux a la tête fracassée et tous l'ont deviné).
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Le primate blanc joué par Robert Ryan réformé croit et surtout prétend participer à l'effort national de lutte contre l'ennemi, en tuant un innocent et minuscule seul asiatique (isolé et fatigué fermier comme Jean de Florette).
Il tue un innocent localement, de la même manière que dans 'Starship Troopers' de Paul Verhoeven, les enfants sont incités chez eux par la propagande à écraser les insectes minuscules pour l'effort de guerre en arrière ligne.
Au passage, le pseudo patriote justicier qui a exécutè par prévention un fermier arguant qu'il est asiatique, mentionne comme excuse et raison: "corregidor" ???? (je découvre après que c'est une "bataille perdue" sur une île, "après l'attaque de Pearl Harbor").
Sa victime était de surcroit sans doute surtout épuisée car simple fermier ayant creusé un puits.
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En détail, il m'est inquiétant de revoir en 2023 ce film de 1955 car son village est bientôt quasi à sec d'eau, alors que nous faisons désormais en France nous-même face au manque d'eau...leur région de 1945 "ressemble à Mars" (dit même le contrôleur du train):
"Nous n'avons même pas assez d'eau" (répète Robert Ryan).
Déjà des centaines de nos villages et petites communes étaient sans eau en 2022, bientôt "les premières villes" disent les experts...
ça rend ce film encore plus universel et le lie encore plus avec nos villages du sud.
Nos Komoko mourront-ils alors dans leur lit?
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En mini coïncidence, je revois le film le jour où le magistrat français, Procureur de la République, François Molins à la retraite, fait la une des journaux: "Plus je vieillis, Plus l'injustice me révolte"...il me rappelle Spencer Tracy à le retraite aussi. Expliquant aussi que c'est plus fort que lui.
Un blessé de guerre à la retraite, manchot physique mais pas moral, fait face à un réformé qui par jalousie a tué un être différent et surtout faible et seul, mais ayant lui réussi où le pseudo patriote avait échoué...et il mascarade son geste en l'habillant de nationalisme patriotique, osant se draper en mots dans le drapeau.
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Spoil: "Oh, comment tu parles à ma soeur?"
Les auteurs ont aussi habilement crée un beau personnage de jeune éphèbe blond embrigadé, par lâcheté, collaboration d'abord active puis passive.
Peter Wirth joué par John Ericson(le petit jeune hôtelier), par son non-interventionniste prudent, pense comme moi et beaucoup, que ça ne concernera que les autres et protégera la communauté...mais cette jeunesse, cet avenir, finit lui-même blessé dans sa propre chair, en deuil.
Le message des auteurs semblant être, qu'un lâche collabo peureux, ne se tire pas qu'une-balle-dans-le-pied, ou ne scie-pas-que-la-branche sur laquelle il est aussi,
mais il se met en plus grand danger.
John Sturges illustre mes pauvres clichés par la mort de la propre soeur blonde pure-souche et tuée dans le dos du frère collabo: c'est la beauty queen Américaine qui est tuée dans le dos.
Il me semble qu'Anne Francis est ici alors symbole de l'Amérique qui se tue en ne faisant pas face à ses démons: c'est une sorte de Marianne et les auteurs disant, ne pas intervenir, c'est-tiré-dans-le-dos-de-ce qu'est-l'Amérique?
(Anne Francis est d'ailleurs abonnée aux questions d'alien...car SC me rappelle qu'elle est dans Planète Interdite.)
Pour le dire autrement, je crois que ce jeune frère qui paye sa lâcheté par la mort de sa propre soeur est le pendant cinématographique de la fameuse ritournelle d'un pasteur, "Ils se croyaient libre/Quand ils sont venus chercher...":
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. » Mais John Sturges résume cette idée et ritournelle en une scène, aussi efficace que son court film. Sa pédagogie et enquête, pas ennuyeuses du tout sur la forme, m'ont rappelé celles de John Ford dans 'Le sergent noir' (très éducatif aussi sur la notion de fake-news, de manipulation des foules). Deux films qui ont le talent de nous faire la leçon, nous tirer vers le haut, mais sans être pompeux, longs ou ennuyeux. (Sur l'omerta de notables complices d'un lynchage/meurtre, cette superbe distribution d'acteurs m'a aussi fait penser aux mollusques et casting sublimes dans 'Dupont Lajoie' d'Yves Robert).
****************************************************************************************************Faire mettre en colère son adversaire pour le décrédibiliser m'a paru très contemporain comme technique, mais le dialogue qui m'a donc cette fois aussi marqué comme très très actuel est:
"Tout le village s'est plongée dans une indifférence mélancolique"...
...alors là, j'ai bien pensé à la France et l'Europe.
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Créée
le 6 juin 2023
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