Avec Un Jour aux courses et la fin de leur collaboration avec Irving Thalberg (qui mourra peu après), s’achève la grande période des Marx Brothers.

Sans parler de testament (cela n’aurait pas de sens après un tel déferlement ininterrompu de gags), on peut parler de film référence dans lequel on retrouve tous les traits, toutes les scènes, toutes les astuces qui constituent la marque si personnelle et si unique des frères Marx – des détails (pas tout à fait – manquent ici le cigare de Groucho, où les objets accumulés dans le costume de Harpo) à l’esprit du film.

Burlesque sans doute, mais presque incidemment, dans le jeu sans paroles de Harpo, renvoyant donc directement aux procédés comique des temps glorieux du cinéma muet, dans la démarche de Groucho aussi, dans certaines figures incontournables, les poursuites trépidantes, les chutes (mais pas trop), les danses parodiques – mais les Marx ont remplacé les tartes à la crème par des figures bien plus personnelles – comme la destruction définitive et irrésistible des lieux où ils passent. Mais les dialogues sont évidemment essentiels – de la logorrhée permanente et des cascades de calembours, le plus souvent très approximatifs de Groucho aux accents et à la gouaille de Chico.

En réalité il s’agit moins de burlesque que d’un humour de l’absurde, du non sens, d’un surréalisme (au reste explicitement cité par André breton) joyeux – qui n’appartient en fait qu’aux Marx Brothers. Et dans cet univers-là, il va de soi que l’univers anecdotique du récit (en l’occurrence un champ de courses, mais aussi un sanatorium, une grange et bien d’autres lieux improbables) n’a absolument aucune importance – voire même absolument aucun sens.

Tout des Marx Brothers, en condensé dans un film, donc. A commencer par eux-mêmes.

MARXISTE, TENDANCE GROUCHO

Tel qu’en lui-même.
Le look, évidemment, la grosse moustache au charbon, les sourcils, les lunettes,
La démarche, sommet de cinéma burlesque,
L’absence de morale, mais réversible, l’absence totale de sens des responsabilités, l’art d’embobiner, d’emberlificoter, de se jouer des autres par les mots,
Et la logorrhée surtout, le flot des phrases (mais toujours sous contrôle), les jeux de mots, les réparties d’une totale illogique ou contraire d’une logique absolue lorsqu’il reprend, à la lettre, les réponses de ceux qui osent l’affronter sur le terrain du langage. Et c’est là qu’il touche vraiment au surréalisme.

Dans le film, il joue le rôle du Dr Hackenbush, vétérinaire, charlatan, spécialiste de l’hypo-hyper-tension selon le côté du corps. Ses interviews ultérieures révèlent qu’il était très attaché à ce personnage.

Groucho – le boss.

MARXOLOGUE, TENDANCE CHICO

C’est lui sans doute, le brother clé. Le ciment du groupe.
Celui, le seul, qui systématiquement se joue de Groucho ( !) dans leurs joutes verbales ; et on en a un très bel exemple au début d’Un Jour aux courses.
C’est lui qui seul comprend (difficilement certes) la langue des signes mise « au point » par Harpo.
C’est lui donc qui constitue, tout au long du film, en compagnie de Harpo, un duo irrésistible et, au sens premier, ravageur.
Lui toujours qui assure tous les relais, les traits d’union, tous les regroupements, entre les trois frères , entre eux et avec leurs comparses.
Et c’est lui, immédiatement, qui comprend, dès les premiers instants du film, tous les enjeux – la pauvre et jeune et belle (Chico était aussi un grand séducteur) héritière à protéger contre ses méchants créanciers, en provoquant le retour des domestiques de la riche mécène potentielle par un stratagème parfaitement malhonnête.

Malin, roublard, toujours réactif, gouailleur, mais aussi du côté du plus faible quand les choses deviennent sérieuses.
Et encore champion des accents et maître en musique – sa façon unique et virtuose de jouer du piano, pouce replié et index fonctionnant comme un marteau-piqueur.

Dans le film, il est, apparemment, chauffeur, mais aussi factotum, bookmaker, peintre, infirmier. Et tireur de ficelles.

MARXOPHILE, TENDANCE HARPO

C’est lui qui établit la passerelle avec le cinéma muet et burlesque – dans la continuité, à quelques pas de Charlie Chaplin, mais aussi en annonciateur des grands mimes des décennies à venir. Ses réflexes, son humour, à des lieues des façons de Groucho renvoient de fait aux réflexes du pur burlesque : sauter en croupe d’un personnage dès qu’il a le malheur de se baisser, a fortiori d’un cheval.
Totalement muet, inventant une langue des signes qu’il est, à peu près, le seul à comprendre.
Lunaire. Aimé des enfants. Aussi profondément moral que gaffeur. Musicien (de l’art de transformer un piano en harpe, son instrument de référence …), danseur …

Dans le film, il est jockey (plutôt doué), mais il prend aussi tous les « métiers « exercés par Chico. Et toutes leurs destructions.

Et les comparses : certes Gummo, puis Zeppo ont rapidement quitté le bateau pour s’intéresser (avec succès) à la production, mais on retrouve bien le rôle du 4ème, celui du jeune premier « normal » (ici confié à Allan Jones) - et celui de l’héroïne, tenue avec beaucoup de fraîcheur par Maiureen O’Sullivan, Mrs John Farrow et Jane inoubliable des premiers Tarzan.

Et il y a surtout, dans le rôle de Mrs Upjohn, mécène manipulée, Margaret Dumont l’éternelle « muse » et souffre-douleur de Groucho.

Et l’on trouve aussi, sous des variantes irrésistibles (sans doute les meilleures séquences du film) les quatre grandes scènes incontournables de tous les films des Marx Brothers :

• L’affrontement verbal entre Groucho et Chico, toujours remporté par Chico : ici, la vente d’un tuyau pour les courses, s’appuyant sur la vente d’une série de modes d’emploi, jusqu’à atteindre la quantité en volumes d’une encyclopédie médicale ; tuyau percé évidemment …
• La destruction, par Chico et Harpo, définitive, totale , tsunamique des lieux où ils sont amenés à intervenir – une chambre d’hôtel, un sanatorium, et presque un hippodrome. La meilleure scène est sans doute celle de la chambre d’hôtel qui s’intègre à une séance parodique et irrésistible de séduction conduite par Groucho.
• La discussion entre Chico et Harpo – ou un exemple de traduction pour les personnages et pour les spectateurs, de la fameuse langue des signes.
• Les extraordinaires numéros de music hall proposés par les frères en écho à leur passé théâtral et musical : danse burlesque, mais parfaitement maîtrisé, irrésistible, exécutée par Groucho ; concert de piano, index en percussion, par Chico, magistral instrumentiste ; concert de harpe, ici assez extraordinaire, puisqu’il commence au piano, que Harpo (dans un style très différent de Chico) va totalement détruire (une manie !) pour ne conserver que la structure des cordes, la retourner et en jouer … à la manière d’une harpe.

On pourra toujours faire la fine bouche – trouver que les moments de music hall assurés par d’autres compagnies (dont j’ignore s’ils renvoyaient à un cahier des charges) sont très longs, hors sujet, font perdre le fil (mais quel fil ? !) et n’apportent pas grand-chose au film. Ce n’est pas tout à fait vrai pour la première séance, puisqu’elle offre aussi un solo au jeune premier et permet surtout d’introduire les trois magistraux moments de danse et de musique exécutés par les Marx Brothers. C’est plus vrai pour la seconde séance (jazz et soul), très longue, et qui aboutit à une longue poursuite burlesque.

On pourra aussi trouver que certaines scènes sont moins drôles, plus lourdes, ou trop longues – comme les scènes clés de la consultation médicale ou la la course hippique – un peu traitée, versant parodique, comme la course de chars de Ben Hur.

Mais il reste l’essentiel – la sollicitation assez jubilatoire des mâchoires et des zygomatiques, du rire tout au long du film. Ininterrompue.
pphf

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