À travers ce film que j'encourage absolument à voir, l'école s'impose comme un véritable laboratoire propre à l'édification de multiples situations entre les élèves, tel un petit champ de bataille qui peut se révéler brutal pour ceux-ci. Espace de jeux, espace d'apprentissage, des petits esprits tentent de s'épanouir en formant leur relation d'amitié, de conflit voire de moments plus cruels à travers le fléau du harcèlement scolaire.


C'est dans ce cadre que le premier film de la réalisatrice belge Laura Wandel va se dérouler, bien qu'il soit associé à une durée de 1h15, le film arrive à traiter son sujet avec profondeur et précision, fleurtant avec un caractère quasi-documentaire. La grande prouesse de ce bijou se trouve dans son regard à hauteur d'enfant, plus précisément centré sur la petite Nora qui va apprendre à apprivoiser ce gigantesque monde de l'école. Liée par son grand frère Abel, également dans la même école, ils seront confrontés à la face submergée et sombre du microcosme enfantin. L'histoire arrivera à user de beaucoup de symboliques dans le travail des plans, des paroles des personnages mais également de leurs actions.


La réalisation est ingénieuse et déploie le récit sur la plupart de l'année scolaire pour y introduire divers éléments qui formeront une boucle dans leur manière de les présenter. Enfin, le film est porté par des performances justes et touchantes avec notamment Nora jouée par Maya Venderbeque et Abel joué par Günter Duret qui sont déstabilisants tant ils réussissent à faire surgir les émotions de leur personnage alors qu'ils sont des enfants acteurs seulement débutants. Ensuite dans le monde des adultes, on retiendra surtout deux personnes via la vision de Nora qui représente son père Finnigan interprèté par Karim Leklou qui réussi à saisir parfaitement l'image d'un bon père soucieux de protéger ses enfants, et puis il y aura la maîtresse Agnes incarnée par Laura Verlinden; très pédagogue et à l'écoute des problèmes de ses élèves.


Passant outre ce passage, je parlerai un peu plus du déroulé du film où je vous conseille bien évidemment de l'avoir regardé avant de lire les prochains paragraphes.


Des inversions d'intégration


Tout d'abord, nous pouvons évoquer cet inversement constant qui est abordé durant le film et qui laisse transparaître des relations sociales complexes entre les enfants. Le film débute alors sur Nora qui redoute l'entrée dans l'école primaire avec la peur de ne pas s'intégrer, tandis que son frère s'affichera d'une façade de confiance de la rentrée scolaire. Peu à peu, au fur et à mesure du récit, l'inverse va se produire avec une Nora qui s'intégrera et se fera des amies livrant des scènes brillantes de réalisme comme la devinette des sandwichs en forme d'animaux... D'abord seule, avec comme unique connaissance son frère, elle ira à sa rencontre pour jouer dans la cour au risque d'ébranler les rapports de force établis par les petits caïds en lui faisant "honte". Suivant ce schéma, c'est Abel qui fera face au harcélement autant physique que verbal.


Cet inversement ce retrouve parallèlement dans la construction des cercles d'amies avec cette fois-ci Abel qui se rapproche de sa sœur qui met en risque sa "réputation" auprès de ses copines avec un frère flanqué d'une étiquette d'enfant moqué. Ses "amies" se détacheront peu à peu de Nora qui reprochera à son frère de lui donner une mauvaise image comme il l'avait précédemment fait à son encontre.


Un monde d'adultes


À n'en pas douter, l'école s'immerge dans le reflet des parents et de la société avec des rapports de force entre les élèves, la création d'espaces réservés pour tel groupe, la récitation de définitions entendues par les enfants, etc. Bien que l'on pourrait reprocher une surveillance peu encadrée des adultes, le film ne demeure tout de même pas dans un point de vue binaire où les adultes seraient de grands incompétents. Effectivement, plusieurs aspects se mettent en scène dans le film, ils portent notamment le rôle de personnes rassurantes et bienveillantes, je pense notamment au chargé d'éducation physique qui aide continuellement les élèves avec un contact verbal ou/et corporel d'appui. De même pour la maîtresse Agnes qui témoigne d'une écoute attentive dans les soucis de Nora et dans son apprentissage, elle recevra également dans son départ un dessin de celle-ci comme signe de remerciement.


Des tentatives de résolution de problèmes sont apportées, la plus triste étant la blessure de Nora au genou qui sera désinfectée tandis que l'arrière plan montrera en flou un problème bien plus grave avec le harcèlement de Abel. Les résolutions passent essentiellement par le dialogue des adultes, soit du père avec les bourreaux de son fils, soit de parents à parents pour évoquer la dispute de cartes d'anniversaire ou encore avec les parents et le directeur pour régler le harcèlement de Abel.


"Quand on aide ça empire"


Cette phrase prononcée par Nora est déchirante et à la fois représentative de sa vision entre la question de parler ou non du harcèlement de son frère afin de mettre fin à ces humiliations incessantes. Pourtant, cette dénonciation en apparence bienfaitrice et logique se transforme rapidement dans une solitude sous la marque de "victime" dans l'ensemble de la sphère enfantine.


Le mensonge ne dure pas, mais il demeure impactant pour un spectateur omniscient qui verra les excuses du foot... Une cicatrice qui se dissimule sous la réussite sportive, il a marqué deux fois et il n'a pas mal... Une façade déjà façonnée qui s'exprime peu à peu sous le mal-être, cette fois-ci l'excuse prend la forme de la défaite au foot mais "c'est bien de perdre de temps en temps" comme dira son père, autant de phrases qui sonnent comme un arrière goût d'impuissance.


L'aider mais sans parler ? La parole semble faire appel à des conséquences au regard de la petite fille, tant pour son intégration que son frère qui ne veut pas que l'on sache ce qu'il subit, elle fait alors le choix de l'ignorance bien qu'elle demeure toujours inquiète à propos de ce frère qu'elle a tant admiré. Cette symbolique s'incarne notamment lorsqu'elle se voile les yeux face au harcélement d'Abel qui est jeté dans une poubelle, elle joue, se blesse et puis ressent le besoin de vouloir l'aider mais elle ne dira rien, elle doit rentrer dans la classe car la récréation est terminée...


Des inversions d'harcélement macabre


Un imaginaire macabre se faufile entre les pavés de la cour et du sable de l'espace de jeu avec des pensées sordides qui entretiennent les esprits des écoliers. Un bac à sable, tombeau d'enfants enterrés par les grands et espace de conversion autour d'un moineau mort. Aussi profond que la mer, peut-il accueillir d'autres enfants ? Car elle souhaiterais que son frère soit mort, dit-elle sous l'élan de la colère.


En effet, on assiste à un harcèlement cumulé à travers sa propre sœur qui y participe, elle ne veut pas le laisser jouer, préfère rester immobile et gagner à 1,2,3 Soleil. Une complicité muette s'applique à Nora qui assiste aux humiliations de son frère notamment par son groupe social qui argue constamment le fait qu'il dégage une odeur désagréable.


Le schéma violent se reproduit ensuite avec Abel qui se place du côté des harceleurs voulant se revêtir de l'étiquette de dur comme une sorte de seconde chance du côté des bourreaux. Il s'en prend à son ami pour qui il avait retrouvé une forme d'intégration et de jeux, mais fâcheusement il s'impose dans un jeu de dégradation éprouvant pour le spectateur. L'aboutissement final est mis en œuvre lors du moment du sac plastique emprisonnant alors le visage d'un enfant traumatisé par deux tortionnaires. Sa sœur toujours aussi inquiète à son sujet s'élance vers cette tentative de crime, elle l'enlace avec l'espoir de retrouver son frère. Abel s'immobilise dans son action et entrelace sa sœur en laissant le spectateur sur une note d'espérance où ils s'affectionnent et se soutiennent de nouveau.

Cubick
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le 2 févr. 2022

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