Cela devient une habitude dont pourtant on ne se lasse pas, tant aussi on aimerait qu'elle se manifeste pour le cinéma français : le cinéma iranien qui parvient à se construire dans l'urgence et la précarité, de manière confidentielle et risquée pour déjouer les manœuvres du pouvoir en place nous enchante toujours plus, découverte après découverte de films qui ont en commun la maîtrise de la construction, la complexité des personnages jamais enfermés dans un manichéisme facile, la connexion directe avec la société. Ce thriller, qui est un premier film, possède à l'évidence toutes ces qualités. Autour d'un universitaire exilé revenu en Iran après vingt ans d'absence, un piège terrible est en train de se resserrer, faisant remonter des profondeurs ténébreuses et honteuses les rancunes et les jalousies. Tandis qu'Arash se souvient au travers des flashback qui le renvoient à ses premières années, il tente dans le présent d'obtenir son passeport entre Chiraz et Téhéran pour pouvoir regagner Paris. L'impression de malaise et d'étouffement qui le gagne petit à petit envahit à son tour le spectateur, une nouvelle fois atterré par l'état généralisé de violence et de suspicion qui définit aujourd'hui la société iranienne. Le film montre aussi combien il est compliqué de se libérer des racines et de la mémoire surtout quand elle est si traumatique, laissant en suspens des querelles en apparence enfouies, dont on pourrait même s'étonner de la facilité avec laquelle elles flambent derechef. Vingt ans après, Arash n'est surtout pas disposé à être la victime manipulée et au final consentante d'un sordide complot qui nierait son statut et son histoire. Une famille respectable est donc une œuvre forte et très noire, sans illusions, n'offrant aucune échappatoire quant à sa vision de la nature humaine, corrompue et veule, avide et jalouse. Néanmoins, en tant que spectateur et cinéphile, pouvons-nous au moins saluer l'étonnante vitalité d'un cinéma à appréhender comme une planche de salut, un moyen d'attirer l'attention et d'alerter. Et quand cela est fait avec autant de talent et d'intelligence, on ne peut que s'en réjouir.
PatrickBraganti
8
Écrit par

Créée

le 6 nov. 2012

Critique lue 362 fois

6 j'aime

Critique lue 362 fois

6

D'autres avis sur Une famille respectable

Une famille respectable
DavidP12
8

Critique de Une famille respectable par David Poulain

Tout est maitrisé, finement combiné, les éléments narratifs posés un a un sans précipitation pour former un tout hyper cohérent. Comme dans "Une séparation", plusieurs dimensions s'entrecroisent :...

le 3 nov. 2012

3 j'aime

Une famille respectable
JanosValuska
4

Le pays des sourds.

La faute à une bonne CDM (non pas Coupe Du Monde, mais Crève De Merde) je peine à poursuivre mes voyages ces jours-ci. Hier, j’ai tenté une excursion iranienne, accompagné de mon pot de miel et mon...

le 12 juil. 2017

1 j'aime

Une famille respectable
IsabelleLeMest
7

Un constat désabusé sur la société iranienne doublé d'un thriller assez sombre.

Un thriller assez sombre sur une histoire d'héritage bien sordide entre deux demi-frères, l'un, Arash, universitaire et intellectuel aux mains propres, l'autre, Jafar, affairiste et sans scrupules,...

le 5 nov. 2012

1 j'aime

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

91 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5