Devenu professeur à l'école de cinéma de Lodz, Has (La Poupée, Le Manuscrit trouvé à Saragosse) revient à la réalisation en 1982, après une décennie de retrait. Il adapte une nouvelle de Tchékov. À l'exception d'une séquence à base d'oiseaux morts, son Histoire banale tourne le dos à tout le bazar qui a caractérisé ses précédents films (et atteint son apogée via le précédent opus, La Clepsydre qui lui donne la reconnaissance internationale et le grand prix à Cannes). Elle accompagne, sur deux jours, un vieux professeur de médecine miné par une sensation de décrépitude (déclin intellectuel, évaporation du talent, maîtrise obsolète – faisant toujours illusion car trop bien établi). En voix-off il commente son quotidien et son propre état : une tempête froide et amère, pâteuse mais jamais nébuleuse, sous une apparence placide et bienséante. Il affiche un visage austère, incarne l'autorité savante et la bourgeoisie circonspecte, mais est devenu un figurant blasé en mode automatique ; et se méprise pour ça, autant que pour son impuissance à simuler au fond. Le spectateur est bercé par des éclats d'humour acide et une 'lucidité' typique d'homme usé, se sachant et se sentant cuit, déconfit à l'intérieur.
Le pourrissement de la confiance et de l'élan vital est déjà achevé. Pourtant le vieux s'attache encore, malgré ce qu'il a pu se dire ; mais se laisse toujours rattraper par la mélancolie. Sans doute par besoin de la confirmer, si on se fit à notre œil externe et/ou optimiste ; mais il ne s'agit pas d'une fixation gratuite : il y a bien pour lui la nécessité (animale, sociale et à sa façon spirituelle) d'y venir car c'est ici sa vérité imprescriptible, actuelle mais opérant comme une révélation hors-du-temps. Il vaut mieux ne pas trop s'échauffer pour se relancer encore, courir pour tenir une illusion fanée (qui en plus a perdu son attractivité), puis retomber lamentablement, plus abîmé et ridicule. Michal (Gustaw Holoubek) s'autorise une seule chose encore : s'effacer. En remplissant ses devoirs sociaux et filiaux, en écartant les stimulations, les appels des autres, tout ce qui pourrait exiger de lui des démonstrations de puissance ou de sagesse (ses relations mondaines, ses 'sujets' en tant que prof de médecine), infuser quelque joie ou satisfaction franche. Pour tout ça il n'a plus la force et surtout pas la légitimité.
C'est un égoïste bien sûr, mais scrupuleux (juste comme il faut, pas un zélé), déférent en tout cas. Son état lui donne le droit d'avouer sa tristesse, à lui-même constamment, au-dehors quelquefois si c'est indirect et concis ; pas de saper les autre ni de les embarquer. C'est être centré sur soi pour le pire, le versant négatif du pire ; sans intimité dense sinon les mots durs et les injures ; juste rendu à s'économiser, refouler les bruits et les sollicitations mais pour redevenir l'antihéros catalysant nos blâmes. Savoir que c'est vain (et douloureux au mieux – s'il s'agit de quantifier sur l'échelle du 'sens') n'est pas suffisant pour devoir mourir tout de suite, ou se précipiter ; même pour ça il faut une fougue, une liberté, bannies aujourd'hui. À ce stade, on ne peut plus voir que la pourriture, ou le vice ; même petits et innocents. À ce stade aussi, il arrive finalement à les supporter : à les endurer en boudant jusqu'à oublier d'en être dérangé. Michas a perdu la foi dans sa discipline, son métier et son entourage ; perdu surtout le goût et la capacité d'y collaborer. Alors il voit les choses crûment en peinturlurant avec sa subjectivité malade, comme tout exclu réveillé mais régressif ; lui en est un déambulant au milieu des signes de reconnaissance, dans des espaces impersonnels (sa maison y compris).
Dans la deuxième moitié, le contact avec la jeune Katarzyna (Catherine en VF) pousse ce tribunal interne à se modérer. Pupille de Michal, elle aussi est contrariée, mais autrement : c'est une anxieuse sur une pente montante. Les monologues s'espacent, les pensées misanthropes sont synthétiques, le venin surgit à l'extérieur (le guitariste). Mais le fil a craqué depuis trop longtemps, alors à la fin du film, le monologue reprend, externe cette fois, offrant à Catherine une réponse définitive. Toujours convaincu d'être vidé (ou travaillé par ce fantasme), Michal affirme : « Quand un homme n'a plus d'influences qu'externes, un rhume peut lui faire perdre équilibre ». Il laisse passer la chance de vampiriser, en laissant cette amante potentielle et enfant redevable, partir plutôt vers la vie ; elle pourrait être sa progéniture mais ce serait encore s'attacher, or même en rêve ça ne tient plus.
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