À celles et à ceux qui ont compris que c’est à proximité de la mort qu’il faut allumer sa caméra pour capter la vie (Entre les vagues), c’est également au plus près de la tragédie que tourbillonnent les vents frais de la comédie. Bien souvent, les bourrasques de l'humour nous arrivent de l’est, là où résident nos voisins à la frite facile. Nouvel exemple convaincant avec le premier long-métrage Une vie démente réalisé par le couple composé d'Ann Sirot et de Raphaël Balboni, déjà reconnus pour leurs sept courts-métrages.


Réalisateurs d'un cinéma hybride à l'onirisme délirant, joyeux et allègre, Ann Sirot et Raphaël Balboni s'inspirent de leur vécu (la mère de R.Balboni est atteinte de démence sémantique) pour conter l'histoire d'Alex et Noémie (probablement inspirés par leurs expériences personnelles) qui, désireux d'avoir un enfant, entament une parenthèse subie lorsqu'ils découvrent que la mère d'Alex adopte un comportement de plus en plus farfelu. Si l'expérience est douloureuse, elle ne doit pas pour autant être déprimante. C'est en saisissant l'incongruité des situations, le rocambolesque des dialogues, les piqûres d'abattement, l'énergie endiablée d'une mère intenable, l'immobilisme de ceux qui accompagnent la tornade, leurs agacements, leurs apitoiements, leurs rires que le film tient le cœur de son spectateur au lasso. C'est fou ce qu'en laissant la vie œuvrer, elle-même en devient une œuvre.


À la différence du cinéma Zellé de Florian (le démonstratif The Father) Ann Sirot et Raphaël Balboni façonnent une réalité malicieuse peinturlurée d'une mise en scène retenue et intelligente où, à quelques moments, tous les personnages portent les mêmes habits, histoire de dire qu’ils sont tous dans le même bain, histoire de dire que les désinhibitions et la fantaisie qui s'emparent de Suzanne contaminent formellement le film. C'est notamment lors des entretiens face caméra, où il faut s'expliquer - si ce n'est s'excuser - comme dans des interrogatoires face à une institution qui invisibilise l'humain (seule la voix résonne), que le dispositif tient quasiment de l'art contemporain. Craignant une fin convenue, je fus surpris par ce final où la boucle se boucle, liée par les divers âges de la vie, de l'enfance à la vieillesse sur la musique des Quatre saisons de Vivaldi. Une belle manière de dire que la vie, que le cinéma, que le tragique et que la comédie touchent autant les enfants que les anciens, touchent autant le printemps que l'automne.


Pour lire ma critique imagée : https://lestylodetoto.wordpress.com/2021/09/24/une-vie-demente-the-mother/

Pout
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Films vus en 2021

Créée

le 24 sept. 2021

Critique lue 1.9K fois

10 j'aime

Pout

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

10

D'autres avis sur Une vie démente

Une vie démente
Cinephile-doux
7

Problème sémantique

Peut-on écrire une comédie autour de la démence sémantique, autrement dit Alzheimer, la réponse est bien évidemment oui mais cela demande une bonne dose de délicatesse pour trouver un équilibre entre...

le 8 juin 2021

15 j'aime

Une vie démente
Pout
8

The Mother

À celles et à ceux qui ont compris que c’est à proximité de la mort qu’il faut allumer sa caméra pour capter la vie (Entre les vagues), c’est également au plus près de la tragédie que tourbillonnent...

Par

le 24 sept. 2021

10 j'aime

Une vie démente
Johngarpe
8

Critique de Une vie démente par Johngarpe

Original dans le fond mais aussi dans sa forme, le film dépeint des situations dramatiques sans sombrer dans le tragique, bien au contraire. On sourit beaucoup.Il est élégant, drôle, voire savoureux...

le 14 août 2022

7 j'aime

1

Du même critique

La Panthère des neiges
Pout
8

L'affût enchanté

Jusqu'alors, je n'avais du souvenir de lecture du livre éponyme de Sylvain Tesson qu'un duo : lui, le virevolteur de mots, celui aux semelles de feu qui a écumé le monde et ses angles morts (Sylvain...

Par

le 15 août 2021

34 j'aime

6

The Chef
Pout
7

Cuisine ouverte

Désormais, et c'est le cas dans le long-métrage The Chef réalisé par Philip Barantini, la tendance est à la cuisine ouverte. Cette dernière exhibe ses formes et ses couleurs face à la pièce à vivre,...

Par

le 2 nov. 2021

25 j'aime

3

Les Sorcières d'Akelarre
Pout
8

Portrait de jeunes filles en feu

Faire mien les mots du poème La Femme et la flamme d'Aimé Césaire pour peindre Les Sorcières d'Akelarre qui est "un dragon dont la belle couleur s'éparpille et s'assombrit jusqu'à former l'inévitable...

Par

le 29 nov. 2020

23 j'aime

2