Alors que la science-fiction s’accompagne généralement de la fantasmagorie inhérente au progrès technologique et aux bonds vers le futur, il est toujours plaisant de la voir associée à une vision rétro, dans laquelle on ferait cohabiter une esthétique vintage contrastant avec les ouvertures narratives qu’elle propose. C’est ce que propose Universal Theory, qui ajoute à ce pas de côté temporel un exotisme assez vivifiant, puisque l’intrigue se délocalise dans les Alpes autrichiennes des 60’s. L’occasion pour le réalisteur Timm Kröger de développer tout un éventail référentiel, le noir et blanc convoquant tout autant l’univers d’En quatrième vitesse d’Aldrich que les jeux de genre déjà opérés par les frères Coen dans The Barber. L’atmosphère un peu outrée et presque expressionniste du film noir, exacerbée par une musique tonitruante et clairement trop mise en avant, instaure donc un climat propice à l’irruption du fantastique, d’autant que le regard ébahi du protagoniste n’est pas sans rappeler celui du héros d’Eraserhead.
Ce savoureux cocktail va néanmoins s’éventer sur la longueur, dans une exposition qui dilate inutilement les enjeux et diffère ce qui nous est promis dès l’ouverture. On salue néanmoins, lorsque des premières manifestations des expérimentations de physique quantique, le talent avec lequel le cinéaste compense un budget modeste, jouant de tous les artifices du son et de la lumière pour suggérer des cavités et des distorsions spatiales hors-champ. L’écriture n’en patine pas moins, les dialogues semblant toujours à la traîne, et le personnage systématiquement à rebours d’un spectateur qui sait pertinemment à quoi s’attendre en termes de révélations. On pourra, avec beaucoup de bienveillance, considérer ces tares comme volontaires, dans la mesure où le récit joue toujours d’un décalage par rapport à la temporalité, le protagoniste s’éternisant dans l’avant, ne jouissant que très subrepticement du présent avant d’en faire la matière à un éternel regret lorsqu’il se transforme en un passé perdu.
Car c’est sur son long épilogue que le film va prendre tout son sens, délaissant le pastiche esthétique pour aller investir des terrains plus profonds. La distorsion temporelle crée un pas de côté et l’accès à une réalité parallèle qui peut s’affranchir des thèmes précédents (le complot, le policier) pour suivre un individu perdu dans un contexte auquel il ne sent plus appartenir. La profonde mélancolie qui s’en dégage étire alors, dans une narration elliptique, une existence minée et désincarnée, fixée sur une obsession – chercher la femme, comme dirait Ellroy – d’autant plus émouvante qu’elle se confronte à une impossibilité rationnelle. Tourné vers un passé qui n’aurait finalement pas eu lieu, le personnage erre dans des limbes qui le confrontent à un tragique existentiel qui n’est pas sans rappeler l’ombre des grands maîtres, que ce soit Chris Marker et sa Jetée, ou les labyrinthes mémoriels de Resnais comme Providence ou Je t’aime, je t’aime.