Il faut parfois mettre de côté certains facteurs pour laisser sa chance à une œuvre. Nul doute que la comparaison entre le roman graphique et son adaptation le fera basculer dans du côté obscur de la note. Pourtant, pris isolément par un spectateur qui ne connaîtrait pas son encombrant modèle, V pour Vendetta se défend plutôt bien.
Certes, c’est avant tout à son scénario profus qu’il doit son intérêt. De la découverte progressive d’une société dystopique au portrait complexe d’un justicier masqué, de l’initiation à l’engagement résistant au décryptage du néofascisme, le film explore simultanément plusieurs pistes avec un joli sens de l’équilibre. C’est d’ailleurs avec un calme certain qu’il construit son édifice, encadré par deux explosions lyriques en diable, sur un Tchaïkovski tonitruant. On est par exemple étonné de l’atonie des deux flics sur les traces de V, de même que les longues discussions avec Evey prennent le tour de cours de philo dans un alcôve, musée clandestin à l’abri du monde. De ce fait, le film est très british et y gagne un ton singulier qui l’éloigne des traditionnels blockbusters, le rapprochant d’un autre chant crépusculaire de la civilisation, de loin supérieur il est vrai, Les fils de l’homme. La condamnation est généralisée, du règne de la télévision au big brother, des accointances entre industrie, fascisme et Eglise, la société dépeinte renvoie à celle de Brazil, mais sans l’humour, et avec cette conviction un peu plus naïve d’un possible infléchissement des événements.
Ce qui pourrait sembler être une mauvaise gestion du rythme finit par servir l’ensemble : assez ténu, sombre et lucide, le film est en réalité au diapason de cette préciosité britannique de V, qui parle comme dans une pièce de Shakespeare et se voudrait l’un des rares survivants de l’espèce humaine d’avant la chute.
De ce fait, V pour Vendetta est davantage une utopie qu’un blockbuster : cette volonté de croire à l’humanisme et à la possibilité d’éduquer les foules, ce chant d’espoir et d’amour presque gothique, sorte de Fantôme de l’Opéra timoré où les sous-sols d’un monde à la dérive promettent des lendemains meilleurs.
On aurait envie d’y croire, d’autant que le film nous donne un argument imparable par la présence d’une chanson de Richard Hawley : oui, la beauté subsiste.