Sorti en 1958 au Japon et en 1962 aux USA (on y reviendra), Varan peut être considéré comme le quatrième kaiju-eiga officiel de la Toho (Godzilla, king of monsters n’étant pas un nouveau film et Prisonnières des Martiens n’étant pas réellement un film de monstres mais plutôt un film de SF, malgré la présence caméo d’un kaiju). C’est également, à mes yeux, un cuisant échec qui ne fait que souligner à quel point de mauvais producteurs peuvent démolir un film.
Reprenons : intéressés par le succès des kaijus au Japon, une société américaine nommée AB-PT propose à la Toho une coproduction destinée à un direct-to-TV. Je ne vais pas aller trop loin dans le détail (préférant vous renvoyer vers cet article en anglais très complet et intéressant) mais en gros, la boite américaine fait faillite alors que deux tiers du film ont été tournés, et c’est la merde. D’abord car les images ont été filmées selon les normes de la TV américaine (écran 4:3, équivalent 1.37, en gros un format carré), du coup la fin du film continue d’être tournée mais en format cinéma (équivalent 2.35, en gros un format rectangulaire) cette fois et on crop l’image pour la basculer en scope (ce qui donnera l’appellation Toho Pan Scope, seul film avec ce format). Le film sort en 1958 au Japon donc et ne trouve un distributeur américain que quatre ans plus tard, qui décide de tout couper au montage et de remanier totalement le scénario en tenant compte des scènes existantes avec le monstre - la dégueulasserie mise en place avec l’irrespectueux Godzilla, king of monsters ! est de très loin surpassée. Ajoutons à tout cela que le film est à nouveau réalisé par Ishiro Honda, certes spécialiste du genre mais qui a tourné pas moins de 7 films (dont Prisonnière des Martiens) depuis Rodan. Sept films en moins de deux ans…
Constat : un film fait pour de mauvaises raisons est très rarement réussi. Varan n’est qu’une pâle copie de Godzilla, avec ce gros lézard à la peau impénétrable, issu d’une île inconnue et qui ne mourra que par un habile stratagème à base d’effet de surprise et de bombe surpuissante. Originalité : Varan peut voler tel un écureuil volant (c’est pas une blague : il déploie réellement une membrane sous les bras), ce qui tue définitivement sa crédibilité. Pour le reste, c’est joué par des incompétents, c’est chiant à regarder, y a un côté fauché dans la pauvreté des décors (des forêts, des forêts et des forêts) et si Honda tente encore et toujours quelques jolis plans (mention aux obus tombant dans le lac, laissant une traînée d’oxygène derrière eux, image presque expérimentale dans son aspect), tout est foutu en l’air par le “Toho Pan Scope” car non, on ne coupe pas une image pensée en format carré vers un format rectangulaire sans y laisser des plumes.
Moralité, je conseille fortement à quiconque s’intéresse au film ou au kaiju-eiga en général de lire l’article cité plus haut, bien plus intéressant que le film en soi. Quand la genèse d’un projet dépasse en intérêt l’oeuvre achevée, nul besoin de s’interroger sur le temps que l’on veut consacrer au film.