Paul Lacoste aime filmer les terroirs et ceux qui les habitent. Au détour des campagnes, il déplace les caméras pour capter les liens qui unissent les hommes à leur environnement. Longtemps, il a parcouru l’Aubrac à la découverte de la famille Bras, restaurateur de père en fils et en a notamment tiré Entre les Bras : La cuisine en héritage, sorti en 2012. Quatre ans plus tard, le documentariste français quitte le monde de la haute gastronomie pour un monde sûrement plus terre à terre et moins fantasmatique. Dans son nouveau film VENDANGES, il troque les couverts contre une paire de bottes et nous entraine aux fils des rangs de vigne à la rencontre de ceux qui accomplissent le travail de la récolte du raisin. Sous le ciel incertain de l’automne, Paul Lacoste se ballade à travers la troupe de vendangeurs du domaine de Bernard Plageoles, à Gaillac, dans le Tarn. Il prend le parti pris de ne pas construire un discours et de ne pas dresser une trame politique, quitte à rendre le film assez monotone, simple kaléidoscope de pensées. L'intensité et la colère n'ont pas leur place et seules la légèreté et l'incertitude semblent dominer. Malgré tout et surtout, VENDANGES a le courage de mettre en lumière, à l’échelle locale, le portrait de toute une société, balayant un horizon allant des retraités aux licenciés, des étudiants au fils du patron. Sans voix off, il laisse les protagonistes de son film se raconter au fil d’échanges et de silences. Entre batailles de grappes de raisin, repas reposant et discussions face caméra, VENDANGES prend le temps de montrer la diversité de la précarité, de la solitude et du vide qui hante l’avenir.


Les documentaires sur l’agriculture, et notamment la viticulture, sont aujourd’hui monnaie courante. Mettant en avant les cultures durables ou dénonçant les effets des pesticides, bon nombre d’entre eux apparaissent comme des plaidoyers sanitaires et écologistes. Paul Lacoste choisit de ne pas suivre ce chemin-là,et préfère emprunter les sillons du genre humain, tout aussi nécessaire. Ici, bien que le domaine Plageoles produise des vins « natures », il est question de personnes bien plus que de vignes. Paysage humain sur fond de paysage agricole. Les caméras saisissent autant les gestes répétitifs et manuels du travail viticole que les visages, les regards perdus et les éclats de rire. Le documentariste sculpte son film dans une matière mêlant la difficulté du labeur et l’optimisme d’être là, à travailler. Aussi, VENDANGES est un savant mélange entre les instants collectifs dans la vigne et des entretiens individuels menés avec quelques travailleurs. Ce qui est le plus saisissant dans le film, est le vertige qui règne entre la camaraderie de l’équipe et les craintes individuelles saisies dans la réflexion. Entre liberté et précarité, les bonnes blagues et les pensées tendrement philosophiques fusent mais finissent par se fracasser contre le mur d’un monde où l’avenir a perdu toute assurance. Sans vraiment se structurer, sans vraiment annoncer son but, si ce n’est la saison qui défile, VENDANGES apparaît plus dramatique qu’il n’en a l’air. Sûrement que la séquence la plus marquante est celle montrant ces vendangeurs scrutant, d’un regard sans espoir, la classe de maternelle venue en visite sur le vignoble. Malgré la bonne ambiance régnante, la fatalité semble avoir pris définitivement le dessus.



"VENDANGES prend le temps de montrer la diversité de la précarité, de la solitude et du vide qui hante l’avenir”



Paul Lacoste dresse une véritable radiographie de la précarité qui aujourd’hui ne vient plus des pays limitrophes mais bien de l’intérieur du pays. En captant les discussions anodines le temps d’une pause-café, le film scrute tous les points de vue et les écarts entre eux : de ce couple de saisonniers pour qui faire les vendanges est un choix à ce jeune qui a tant de mal à dire ce qu’il veut pour son avenir ; de la femme pour qui le vignoble est triste à cette licenciée d’usines qui a connu la renaissance dans la nature. Et c’est à partir d’un débat sur l’utilité du syndicalisme en France que le film montre l’étendue des facettes, des pensées et des causes de la détresse, qu’elle soit financière ou bien affective. Alors, la camaraderie aura des difficultés à se transformer en solidarité et VENDANGES pose la bonne question de la capacité à construire des liens forts dans cette aventure qui, malgré tout, n’est qu’un travail, qu’un moyen de toucher un salaire. Les caméras qui filment les paysages, les bourgs endormis et les intérieurs en désordre, dévoilent aussi ce qu’est la ruralité. Celle qui sombre dans l’agonie. Celle qui connait l’abandon politique. Entre bonheur d’être ensemble dans la nature et pertes de tous repères, le film est le miroir d’un société où les êtres humains se débattent, se questionnent et malgré tout, rient. A travers le tendre choc des générations, des idéaux et des constats, Paul Lacoste montre avec simplicité ce qu’est vivre, ce qu’est survivre et ce qu’est créer du lien, même seulement temporaire.


Par Juliette, pour Le Blog du Cinéma

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le 26 sept. 2016

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