L'avènement d'un nanar, la chute d'un empire

Il est de plus en plus rare de trouver dans le paysage cinématographique actuel de précieuses gemmes nanardesques, surtout en provenance d'Hollywood. Des navets, il y en a. Des nanars, c'est plus rare. En général, mêmes les mauvais films sont enrobés de manière à mieux faire passer la pilule, ce qui les rend à peu près digestes, même si vite oubliables dès la sortie de la salle. C'est le principe même de ce cinéma « fast-food » que l'on consomme sur place, rapidement, avec une certaine honte inavouée, mais devant lequel on aura au moins passé un moment agréable, et rien de plus. Le but étant le divertissement puéril, le plaisir immédiat, symptomatique d'une société malade où la stimulation constante et la satisfaction des désirs priment sur toute autre forme de conception du bonheur. De ces films donc, qui sont tellement mauvais qu'ils en deviennent drôles et sortent du lot, il y en a peu. Nous avions eu, il y a deux ans, le fort dégueulasse mais ma foi rigolo Gods of Egypt ; cette année Sony et Marvel nous ont concocté un petit bijou qui pourrait prétendre se hisser un jour au rang de nanar culte.
Il faut dire ce qui est, Marvel nous a tellement habitué à un formatage de ses films, les rendant plus inintéressants et oubliables les uns que les autres, Venom a au moins le mérite de sortir réellement du lot. Car ce film, malgré lui, entendons-nous, sera INOUBLIABLE. Tout y est, rien ne fonctionne.


Dès la séquence d'ouverture nous savons que nous sommes face à une œuvre qui s'approcherait plus de l'excrément que du film. Séquence extrêmement banale d'un vaisseau extraterrestre, modélisé en image de synthèse hideuse, qui s'écrase en Malaisie ( « Malaisie » déjà signe avant-coureur du « malaise » à venir ), où chaque action est sur-dramatisée par une temp music entendue des milliards de fois dans ce genre de films. Tout y est pour nous enfoncer déjà dans la gorge l'immondice qui va suivre. L'établissement de la situation des personnages, complètement bâclé, semble avoir été écrit avec le postérieur des trois scénaristes ( comme si un seul ne suffisait pas à écrire pareille ignominie ). Tout s'enchaîne à la hâte, peut-être par peur de nous ennuyer, et nous amener dans le vif du sujet. Mais le cinéma c'est comme l'amour : sans préliminaires c'est la déchirure. Et avec quelle violence celle-ci arrive !


Les dialogues sont grotesques, les acteurs sont aussi émouvants qu'un stérilet, les scènes de combat sont filmées par un tétraplégique atteint de la maladie de Parkinson, la lumière et l'image viennent rehausser cette esthétique vomitive et nauséabonde. Aucune rupture de ton, de rythme, aucun travail ne serait-ce que sur le suspense ou la surprise. Juste un flot continu de dégueulis esthétique et de tentatives de punchlines foireuses. Pour ce qui est du design de Venom en lui-même, s'il ne rugissait et ne secouait pas sa langue dans tous les sens à chaque fois qu'il apparaît à l'écran, on excuserait le manque d'effort ostentatoire sur les effets spéciaux. L'humour sur lequel essaye de miser le film, avec ses blagues potaches et le cabotinage poussif de Tom Hardy, procure au spectateur quelque chose de l'ordre de la gêne plutôt que du rire. En bref, le scénario est fumeux et la mise en scène médiocre.


Mais le rire que provoque le visionnage de Venom se trouve ailleurs que dans les effets comiques qu'il tente de produire. C'est ce qui fait le caractère involontairement hilarant du film, et de facto son côté nanardesque. Car s'il y a bien quelque chose de positif à retenir de l'expérience spectatorielle de cette sublime œuvre d'art, c'est bien ce rire qui prend ici la valeur d'un exutoire. Face à une telle atrocité on ne peut que rire ou pleurer. Pleurer de savoir que des gens sont payés des milliers de dollars pour enfanter une monstruosité pareille ; rire d'être le témoin d'une arnaque aussi grossière, et de voir néanmoins les fans du genre continuer d'encenser Marvel malgré le gourdin énorme que la production leur a fourré dans un certain orifice. Ce que je reproche par contre à Venom, c'est de se moquer ouvertement de son public, en alimentant l'insuffisance intellectuelle de celui-ci, par son sujet d'une médiocrité hallucinante et par des procédés de mise en scène de la subtilité d'un radiateur bain d'huile.


Pour conclure, ce film est une perle, c'est un modèle de mauvais goût, du dialogue à la mise en scène, en passant par le jeu d'acteur d'une finesse inouïe. Sans doute le plus mauvais film de l'année et pourtant j'ai rarement autant ri au cinéma. Il faut avouer que les conditions de visionnage étaient propices au divertissement. Avec un groupe d'amis, étant conscients de l'échec du film, nous avions décidé au préalable de nous y rendre alcoolisés. Il est évident que l'alcool a permis de mieux faire passer ce désastre cinématographique. L'intérêt du film se réduirait donc à ça, se fendre la poire avec un groupe d'amis. D'un côté, je ne suis pas du tout déçu de la médiocrité de ce film, car il est l'exemple même du déclin du genre « super-héros », déjà entamé depuis quelques années. Mais il était de mon devoir d'en parler. Car ces films immondes continuent tout de même à faire autant d'entrées, en dépit d'autres perspectives cinématographiques qui ne prennent pas leur public pour des attardés, qui offrent une vraie réflexion esthétique et qui poussent le médium filmique au-delà de ses possibilités figuratives, tout en restant dans l'ombre de ces géants issus de la machine industrielle qui détruit aujourd'hui, chez le sujet soumis à leur visionnage, toute forme de pensée critique ou artistique quelconque.


La scène post-générique de Venom annonce une suite ; vous pouvez compter sur moi pour aller la voir, avec un plaisir non-dissimulé, sombrer et entraîner avec elle la lente et inexorable chute de l'empire Marvel.

MisterBrelu
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le 12 oct. 2018

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MisterBrelu

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