Non Nanni Moretti ne fait pas un cinéma de vieux comme j'ai pu, consterné, le lire un peu partout, mais revient à ses amours premières d'un cinéma bricolé à la structure pas toujours bien équilibrée (tant mieux !) pour offrir un nouveau chef-d'oeuvre qui se glisse pour moi dans la suite logique de ses deux plus beaux films, Palombella Rossa et Journal Intime (il y a du Aprile aussi, mais Aprile est nettement moins bon...). Moretti brocarde les dérives du monde et des comportements humains qui l'insupportent, et c'est au nom de ça qu'on le traite de réac, voire de boomer (au secours les expressions de faux jeune) alors qu'il a toujours été comme ça, depuis ses premiers films, depuis Sogni d'Oro où du haut de ses vingt ans ils insultent les gens en leur hurlant "mais vous y connaissez quoi, vous au cinéma", ou depuis Palombella Rossa où il met une claque à une journaliste qui utilise le mot "kitsch", ou depuis Journal Intime où il va torturer jusque dans son lit un critique qui a osé défendre un film qu'il considère comme abject. Le cinéma de Moretti est l'un des plus personnels qui soient, et celui-ci l'est encore plus car son personnage n'a même plus le nom de son alter ego Michele Apicella, il se nomme carrément Giovanni, soit le vrai prénom de Moretti. Réalité et fictions se mêlent en permanence, comme se mêlent admirablement bien dans le film la partie "film dans le film", soit les années 50 et cette troupe de cirque hongroise qui vient trouver refuge en Italie, et la partie "réelle" soit celle des atermoiements d'un cinéaste pour parvenir à boucler le tournage de son film, et les aléas des producteurs. C'est la partie la plus drôle du film bien sûr, j'ai ri aux éclats quasiment à chaque scène, les plus réussies étant celle où il finit par téléphoner à Martin Scorsese pour lui demander son avis sur un plan (d'un autre cinéaste) qu'il juge obscène, et surtout le rendez-vous avec Netflix, ce que j'ai vu de plus drôle et de plus jouissif depuis des années. Mais il y a deux autres parties dans le film, celle qui concerne le parti communiste italien, le film se déroulant au moment historique où ce dernier prend ses distances d'avec le PC d'URSS. On sait l'importance du PC dans l'oeuvre et la vie de Moretti, et je crois qu'il n'avait pas abordé la question avec autant d'émotion auparavant. Puisqu'il est question d'émotion, le quatrième côté du film est sans hésitation le plus émouvant, puisqu'il est celui de la fin d'un amour. Le film s'ouvre là-dessus d'ailleurs : l'épouse de Giovanni, productrice de cinéma et qui pour la première fois produit le film d'un autre et pas le sien, est chez le psy, et lui confie qu'elle a besoin d'un psy pour parvenir à quitter son mari. Elle n'y arrive pas seule, car elle ne l'aime plus et l'aime encore en même temps, elle a besoin de vivre sans lui, d'exister pour elle-même et plus dans son ombre, mais en même temps elle veut le protéger et lui faire le moins de mal possible. Cette fin d'amour rappelle de toute évidence tout ce qui est magnifiquement dit sur le divorce des deux protagonistes du Caïman, et c'en est tout aussi bouleversant. In fine, Vers un Avenir Radieux est tout sauf une compile ou une redite des thèmes morettien, c'est au contraire une merveilleuse quintessence de son oeuvre dans laquelle il accepte le fait de vieillir et de regarder un monde qui le désespère de plus en plus mais qu'il continue d'aimer et d'embrasser avec la même rage.