Face à la cohorte de navets formatés au possible que propose le cinéma d’épouvante, Cronenberg propose, dans son début de carrière, un parcours singulier et – enfin – digne d’intérêt. L’intrigue de Videodrome est à ce titre d’autant plus fascinante qu’elle prend justement pour point de départ cette quête du frisson par le spectateur, qui, lassé des formules éculées, cherche à augmenter les doses et levers les curseurs pour pouvoir retrouver de quoi le faire vibrer.
Videodrome propose ainsi, avant toute chose, une réflexion sur le cynisme et le caractère désabusé de personnages errants dans une société capitaliste qui ne sait plus comment susciter le désir. Une sexualité déviante, une philosophie nouvelle intégrée à des concepts d’émissions vont, croit-on pouvoir pimenter à nouveau les mornes existences. Dans ce monde en marge des 80’s où l’écran est roi, le kitsch et les couleurs criardes sont offerts comme de tristes ébauches de sens.
Cronenberg se pose dès cette œuvre la question fondamentale de l’interaction entre le corps et l’esprit. Puisque ce dernier commande les désirs, et que ceux-ci sont inféodés à la machine cathodique, le cinéaste imagine une dérive délirante dans laquelle la fusion des deux sera le ressort de l’épouvante. Cette question traversera toute son œuvre, des expérimentations (médicales dans Faux Semblants, scientifiques dans La mouche) aux jeux ludiques (Existenz) ou pervers (Crash) : cette accession à une forme de post-humanité, - une problématique qui hante aussi Houellebecq – se fait dans un élan d’inquiétante étrangeté, mêlant la fascination et le rejet.
Les images les plus marquantes, et qui feront date dans l’imaginaire collectif, voient ainsi le personnage de James Woods (qui semble né pour incarner un tel cynique passionnel au regard intense) se faire littéralement avaler par un écran avant de devenir lui-même un magnétoscope organique dans lequel on peut glisser des cassettes. Le vertige est total : entre une figure de gourou qui n’existe plus que par bande vidéo, une bombe sexuelle absorbée par l’écran et cet abdomen étrangement vaginal, auquel on greffe des attributs d’abord sexuels, puis mortifères, le libre cours au fantasme dérègle les sens comme les valeurs.
La puissance dévoratrice du fictionnel, thème qui fera aussi la saveur de l’Antre de la Folie, prend ici une dimension bien plus complexe : parce qu’on décèle bien à quel point le cinéaste explore ses propres obsessions, sans leur opposer nécessairement un discours stable et moralisateur. Un gourou en chasse un autre, une découverte lucide conduit à une nouvelle étape dans l’abandon de la réalité, vers une nouvelle chair aussi organique que virtuelle.
Enfin, le film d’horreur (si tant est qu’on juge pertinent de réduire une telle œuvre à ce genre) a du sens : parce qu’au-delà de son imagerie gore, il questionne justement le fantasme du voyeur, et conduit à une instabilité des plus fertiles. Parce qu’il prophétise, dès l’aube des années 80, la société virtuelle et ultra connectée qu’est la nôtre. Parce qu’il impose des images d’une audace folle, rivalisant avec l’onirisme noir des surréalistes. Parce qu’il sublime très nettement le frisson initial de l’épouvante qui n’est pas une fin en soi, mais bien le choc par lequel l’auteur ouvre des abimes dans lesquels se logent les parts sombres de notre retorse humanité.