Civière sans retour
La première réalisation de Kitano se fit au pied levé : le réalisateur initial étant malade, le comédien proposa de le remplacer, et fit un ménage dans le film écrit à peu près équivalent aux...
le 14 mars 2018
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La première réalisation de Kitano se fit au pied levé : le réalisateur initial étant malade, le comédien proposa de le remplacer, et fit un ménage dans le film écrit à peu près équivalent aux méthodes radicales de son personnage devenu un anti-héros.
Tout est déjà présent dans ce prologue à la filmographie du cinéaste : l’univers des yakusas, un rapport frontal à la violence, un pessimisme à couper au couteau et quelques contrepoints burlesques.
La saveur unique du film provient d’un sentiment assez singulier : Kitano avance en terrain balisé, et montre qu’il en a conscience. Son personnage de flic brutal mutique semble un double du réalisateur derrière la caméra, qui contemple ce monde et ses codes en décidant, froidement, de ne pas jouer ce jeu-là. En le malmenant sur le terrain moral, pour commencer, le représentant de la loi se faisant aussi répréhensible que ceux qu’il traque, voire les surpassant en matière de sadisme. En déplaçant ensuite cette brutalité dans sa dimension physique ; chez Kitano, le corps est souvent le relai de l’humiliation, le pivot par lequel le personnage devient grotesque, lorsqu’il chute, trébuche ou se retrouve tabassé au sol par les coups de pieds du protagoniste, voire heurté volontairement par son pare-chocs. C’est un élément qu’on retrouvera régulièrement, dans les courses poursuite ou les affrontements : une opération qui réduit les individus à leur dimension corporelle, enveloppe mal contrôlée et révélation extérieure de l’absurdité de leur condition.
Un personnage lui aussi fondateur de l’univers narratif kitanesque (on pense bien entendu à l’épouse dans Hana-Bi) est celui de la sœur, limitée mentalement, et proie aux assauts du monde des mâles dominants : son corps, réceptacle à leur libido ou au poison de la drogue, concentre toute la barbarie humaine et agit comme un écho inversé au ridicule comique des autres personnages. Le recours à la musique, jazz un peu mélancolique, ajoute à ce brouillage des cartes en termes de tonalité : les repères du genre sont flottants, car rien ne peut être dit de façon stable sur un monde aussi corrompu.
La figure marmoréenne du flic est donc une trajectoire à la droiture brutale, une saignée dans un monde malade, un aller simple vers l’épuration. Nulle portée morale à la Dirty Harry ici, tout simplement parce qu’aucun discours ne vient relayer ses actes. La hiérarchie le conspue pour ses méthodes au moment même où les yakusas en font l’homme à abattre.
(spoils)
C’est donc aux actes c’est-à-dire à l’image de prendre le relai, sur un terrain déserté par les discours : la densité des scènes de tuerie, le caractère abrupt choque aussi par le refus de jouer sur la dramatisation à l’excès attendue dans le film noir. On dézingue les parrains comme on ferait le ménage, avant la séquence réellement cathartique dans un hangar qui semble annoncer le bain de sang de Reservoir Dogs, tourné trois ans plus tard. Ici, l’obscurité joue un rôle majeur, découpant l’espace avec une violence au diapason de celle des échanges. Le talent de Kitano explose dans un tableau à la noirceur explosive, qui s’achève comme bien de ses récits à venir, dans une euthanasie généralisée.
L’épilogue l’affirme avec amertume : le monde continuera de ne pas tourner rond. Il y aura d’autres récits, d’autres tentatives de rendre justice ou d’éradiquer le mal, voire d’insuffler de la poésie dans ce monde pourri jusqu’à la moelle. Mais aussi gracieux soient les pas de danse esquissés, la mort restera le grand chef d’orchestre.
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le 14 mars 2018
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