On peut, évidemment, trouver le film répugnant ou ridicule ou les deux - mais pas incompréhensible, et surtout pas vide et nul.

Le récit est même assez clair, explicite. Il ne s'agit pas d'une fiction, mais d'une tragédie, et bien au-delà du drame et de la tragédie. Cette autobiographie fantasmée évoque la jeunesse d'Arrabal dans l'Espagne franquiste, au moment où le pouvoir du Général Franco s'installe par la terreur la plus terrifiante. Le père d'Arrabal enfant est dénoncé par sa femme, arrêté, placé au secret; il tente(rait) de se suicider, s'évade(rait) pour disparaître à jamais. Le film dit (certes il ne raconte pas) la quête impossible de l'enfant, la recherche du père perdu. Et il le dit de façon assez claire - une image en couleur pour ce qui touche à cette enquête et à la représentation de l'Espagne de l'époque, des images monochromes (rouges, jaunes, bleues) pour ce qui relève des fantasmes, des délires de l'enfant. Il est vrai qu'à la fin tout semble largement confondu, mêlé et fantasmé...

Le film dit aussi l'Espagne de l'époque - entre la terreur de l'armée, les massacres, les tortures, les arrestations arbitraires, et celle, tout aussi forte, de la religion, avec tous les interdits, les refoulements, la culpabilisation, le goût du châtiment et la dénonciation permanente, la terreur enfin comme mode ordinaire de fonctionnement, où la parole est toujours retenue, où le regard des autres, le jugement des autres, le rejet du groupe au nom de l'ordre nouveau qui va jusqu'à condamner les enfants. Nous sommes dans le vestibule de l'enfer.

Cette terreur-là est infiniment plus terrifiante que celle qu'elle provoque en retour chez Arrabal enfant, puis artiste. La provocation, la violence sans limites (si, celle de l'imaginaire), le franchissement des interdits et des tabous sont ainsi une réponse, la seule possible, face à cet environnement atroce. Faute de pouvoir répondre à l'agression sociale constante du cerveau et du corps, on se retourne contre les plus faibles, une fillette, des animaux, des plus petits (les insectes consciencieusement massacrés) aux plus gros (l'insoutenable massacre du boeuf), on se baigne dans des coulées de sang, d'urine, de merde - mais pas de sperme car la force du refoulement, chez Arrabal comme chez Bunuel, reste très prégnante. Cela dit la transgression oedipienne est omniprésente, crue et explicite.

Le film d'Arrrabal s'inscrit également dans la grande tradition surréaliste propre à l'Espagne, inséparable d'un excès de provocation, encore renforcé par la création du groupe Panique (avec Topor et Jodorowsky). Plusieurs scènes sont autant d'hommages immédiats à Dali et à Bunuel presque des citations de Los Olvidados ou d'un Chien andalou : les moutons morts (comme les ânes d'un Chien andalou), le jeu cruel avec les insectes, les blasphèmes religieux ... On n'oubliera pas de citer, à cette occasion, le contraste assez génial entre l'horreur et l'ordure des images et la comptine enfantine qui vient régulièrement les accompagner, ou encore les illustrations cruelles du générique composé par Topor;

Le gros point faible du film (amplifié par les fragments surréalistes où l'ennui est alors décuplé) réside dans le fait qu'Arrabal n'est pas un cinéaste : le film n'est quasiment pas monté, très mal mis en image, toujours très confuses, souvent à peine visibles, à peine lisibles, surtout les monochromes (et paradoxalement cela place l'horreur à distance, la désamorce, la rend plus théorique) au point qu'effectivement le film devienne très souvent extrêmement lassant.

Arrabal n'est pas un cinéaste - et, à la limite, Viva la muerte n'est pas un film mais une thérapie, la destruction de la violence par la violence, de l'horrible par le plus horrible. Avec "J'irai comme un cheval fou", la provocation (c'est à dire la déclinaison explicite et constamment choquante et de tous les interdits possibles) se fera plus gratuite et tournera au systématique. Mais Viva la muerte n'est pas de cet ordre-là; on est dans l'indécence absolue et dans le symbole (c'est avec la sortie, difficile, de cette oeuvre en France, que la censure, morale et politique, a été presque définitivement vaincue, et ce n'est pas rien) - et mettre une note à ce "film" n'a assurément pas grand sens.
pphf

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