Idée dans doute contestable que celle de choisir un nanar définitif pour évoquer à nouveau (mais de façon très oblique, délibérément) l’ombre de Charlie, à l’abri de l’ombre, immense, de Reiser.
Cela dit, Claude Confortes faisait partie de la famille, passait régulièrement aux locaux de la rue des Trois portes – et le film n’est pas simplement une affaire de droits d’auteur ou d’adaptation, en témoignent les caméos très amicaux de Cavanna, Gébé et Wolinski, la présence dans le casting de Michèle Bernier (qui à l’époque était surtout la fille de Choron) et plus encore l’implication de Reiser dans l’adaptation et les dialogues.
Alors pourquoi le film est-il aussi mauvais ?
Ce n’est pas essentiellement lié au travail de Claude Confortes, qui était d’abord un metteur en scène de théâtre et qui n’a d’ailleurs jamais tourné que trois fois pour le cinéma – et toujours à partir d’adaptations des grands auteurs du Square – Wolinski, Pichard ou Reiser. Mais il est vrai que ces films tendent largement vers les œuvres de Max Pecas, de Philippe Clair ou de Michel Lang …
Cela ne tient pas non plus à la technique de la transposition, car des techniciens assez remarquables travaillaient autour du réalisateur, Ricardo Berta à la photographie, Alexandre Trauner aux décors …
En réalité le problème vient du fait que l’œuvre de Reiser est absolument impossible à adapter au cinéma. Et l’intérêt majeur de cette « tentative » est précisément de permettre une réflexion, certes modeste, sur la transposition, sur l’adaptation au cinéma d’une autre œuvre artistique – et d’évoquer, pour le cas présent, la supériorité de l’image fixe sur l’image mobile.
Et il y a Reiser.
Et le dessin de Reiser – apparemment bâclé, un gribouillage, quelques traits, des personnages que l’on reconnaît difficilement d’une vignette à l’autre (mais on les reconnaît bien sûr) : le dessin de Reiser est expressionniste, hyper expressionniste, très au-delà de la caricature, presque stylisé, en noir et blanc évidemment. Et il ne représente jamais des personnages identifiables, connus, jamais des politiques (il est vrai qu’à l’époque le journal était beaucoup moins politisé dans ce sens-là). Les personnages de Reiser, tellement travaillés en fait, représentent des gens « ordinaires », même pas, plutôt des « spécimens » d’humanité, des idées (aussi excessives que réalistes) de nous-mêmes, et l’on pressent déjà qu’ils ne peuvent pas être « incarnés » par des acteurs.
Car Reiser représente une humanité déchue, soumise à une solitude désespérée (Gros Dégueulasse, son personnage le plus emblématique, qui finit par s’ouvrir les veines avec le couvercle d’une boîte de cassoulet), à la violence extrême de la société et à sa propre violence.
Il dessine un univers cruel, sale, immonde, choquant, scatologique mais si excessif et si maîtrisé dans sa dimension scandaleuse qu’il en libère une poésie insolite.
Les textes de Reiser, ses dialogues sont faits pour être lus – pas pour être dits. Ce sont d’abord des coups de poing dans la gueule, qui provoquent le rire (un rire noir, ou blême, pas un rire gras), puis après le rire, et presque sournoisement, la réflexion.
L’œuvre de Reiser tourne au rouleau compresseur ou au jeu de massacre. Il pousse à l’extrême l’idée de l’humour bête et méchant, au-delà de l’humour noir, et sa déclinaison préconisée par le professeur Choron, grand sage – dénoncer le vulgaire par le plus vulgaire. Et tellement plus vulgaire qu’on finit par échapper à toute vulgarité.
Vive les femmes, décliné par Reiser, est une œuvre glauque et poétique. Vive les femmes, adapté par Confortès est une œuvre vulgaire et kitsch.
D’une vulgarité totale – on n’aura gardé au bout du compte que les blagues sexuelles présentées de la façon la plus lourdingue, transformé les dialogues provocateurs et cruels en tirades boulevardières (et, très paradoxalement, sans les modifier – par le seul fait de les dire), « incarné » les personnages totalement symboliques avec des acteurs qui rament pour jouer (faux évidemment) et dire des dialogues impossibles à dire, remplacé le noir et blanc universel par des costumes bariolés dignes d’Au théâtre ce soir.
On restera indulgent – pour les efforts des comédiens, leur abattage, Maurice Risch condamné au rôle impossible de Gros Dégueulasse, Michèle Bernier (avant, et topless), Catherine Leprince, qui paye énormément de sa personne, Maurice baquet …, pour la reprise de séquences et de dialogues cultes, même si c’est très raté – le dragueur des plages à la méthode infaillible, « dites, vous voulez pas tirer un p’tit coup avec moi … ? », le noël festif réunissant toute la compagnie, le strip-tease humanitaire, la culotte de Pauline échouant au pied de l’immeuble et aux pieds d’un aveugle qui la rapportera évidemment à sa propriétaire …
Et pour l’ombre de Reiser.