Les arts se rencontrent quelquefois, sympathisent et apprennent à se connaître. Quand la relation se fait de plus en plus forte, ils commencent à flirter, à s'accoupler et à mélanger leurs caractéristiques. Ils accouchent parfois même de beaux bébés, ces petits joyaux de toute une vie, qui rassemblent les gênes de chaque parent. Le théâtre n'est pas vraiment libertin et ose rarement s'aventurer dans les bras du cinéma. Un couple temporairement lesbien dans lequel chacun aimerait donner le "la" pour déterminant. Pour un enfant, le cinéma piège le théâtre dans ses filets, et cela ne semble pas déplaire à ce dernier. Parlons de l'enfant, tiens.

"Vous n'avez encore rien vu" est le fruit de cette relation. Alain Resnais incarne la sage-femme qui a tenu ce bébé dans ses bras en premier, qui l'a enfanté. Reste à savoir qui a accouché : le cinéma ou le théâtre? Qu'en sais-je?
Est-ce un film qui parle de théâtre, ou bien une oeuvre théâtrale filmée sous l'oeil bienveillant d'une caméra qui participe intégralement à la pièce qui se joue sous nos yeux? Moi, je parlerai d'un théâtre de cinéma, un genre inconnu. Un genre dans lequel le spectateur s'incruste, s'invite plutôt. Il devient un acteur à part entière, même sans en être vraiment un, de la pièce "Eurydice", thème central du film.

Rapidement, le pitch. Un metteur en scène décède et invite dans sa résidence tous les comédiens ayant joué dans sa mise en scène de la pièce "Eurydice". Ils se mettent ainsi à rejouer les scènes. Mais la question est redondante : sont-ce des acteurs qui se font passer pour comédiens, ou bien de véritables gens de la scène qui font leur cinéma? Impossible de savoir ; sûrement un mélange des deux.

Ce qui est sûr, c'est que Resnais offre une réelle déclaration d'amour aux deux choses qui le passionnent le plus. Mais Resnais est un malhônnete, il ne dira jamais lequel des deux il préfère, laissant planer un doute volontaire. En fait, il préfère les voir communier ensemble, leurs corps se frottant si fort qu'ils ne font qu'un finalement.

Un autre aspect du film sera trop souvent oublié d'être souligné : exit le choc des générations. Ici, des jeunes comédiens rejouent la pièce par écran interposé, et ne se confrontent pas directement aux acteurs aguerris. Cependant, le montage en parallèle entre les "vieux" et les "jeunes" les rassemble, supprimant tout champ spatio-temporel. Arditi a pris 20 ans de moins, tout comme sa partenaire Azéma tandis que Vimala Pons pourrait avoir 20 ans de plus, que ça ne choquerait guère. C'est aussi le symbole que tout le monde est convié à la fête et que le cinéma, aussi bien que le théâtre, se donne à tout public et à tout âge.
Les arts sont de tout façon intemporels.

Il serait à présent de bon usage de parler de la beauté du casting qui regroupe des gens simples, talentueux, qui ne sont pas ici à la recherche d'une gloire et d'une adoration du public. Ils recherchent simplement le passé, le souvenir et l'adoration de leurs partenaires de jeu. Cela est, certes, égoïste en apparence mais jamais il ne refuse le spectateur de venir se glisser dans la partie.

"Vous n'avez rien vu" : le nouveau-né qui manquait au registre des naissances des chefs-d'oeuvre, Le chef d'oeuvre qui manquait au musée du cinéma.
Jonathan

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