Satire de guerre
Après avoir durablement marqué le domaine des séries télés avec des shows ambitieux et qui n’ont pas peur de s’accorder des moyens, Netflix décide aussi de s’attaquer plus frontalement au secteur du...
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le 30 mai 2017
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Après avoir durablement marqué le domaine des séries télés avec des shows ambitieux et qui n’ont pas peur de s’accorder des moyens, Netflix décide aussi de s’attaquer plus frontalement au secteur du cinéma. Le firme s’est déjà laissée aller à quelques films mineurs ici et là, mais cette année ils ont clairement voulu mettre les bouchées doubles en laissant la place à des cinéastes de venir s’exprimer là où les gros majors hollywoodiens ont tendance à réfréner leurs visions. Le tout est couronné d’une polémique autour de la chronologie des médias en France, suite à la présence de deux films Netflix dans la compétition officielle du dernier Festival de Cannes où des distributeurs voient d’un mauvais œil le fait que ces films ne sortirait probablement pas en salles et qu’ils seraient disponibles bien trop tôt en VOD. Néanmoins, et même s’ils repartent bredouilles en terme de récompenses, ces films ont reçu un accueil critique plutôt favorable, preuve que la qualité ne vient pas du style de diffusion mais bel et bien de la vision du réalisateur qui se cache derrière.
David Michôd se voit donc offrir l’opportunité de prospérer avec Netflix, alors qu’après avoir impressionné les critiques avec Animal Kingdom, son premier film en 2010, et réalisé un The Rover percutant en 2014, il n’avait jamais rencontré le succès public. Faute à un cinéma très nihiliste et au ton particulièrement désespéré. Avec Netflix, il a indéniablement la possibilité de toucher une audience plus large et signe avec War Machine une œuvre indéniablement plus accessible et empreint de comédie. Inspiré d’une personnalité militaire ayant vraiment existé et basé sur un roman de Michael Hastings, le scénario s’évertue à prendre un ton grinçant pour dépeindre une satire assez agressive envers la suprématie américaine et sa politique militariste. Sur ce point le film fonctionne en deux temps. De prime abord on est vite éreinté par la voix-off omniprésente qui n’est là que pour pointer des éléments évidents autour de la psychologie de ses personnages, une manière peu subtile de les caractériser et qui n’est pas aidée par quelques effets de comédie un peu lourds. Michôd manie clairement moins bien l’humour qu’il ne maîtrise le drame désespéré mais après cette première demi-heure poussive, il parvient à renouer avec la sève de son cinéma.
Plus incisif et avec un regard indubitablement plus sombre et ironique sur son sujet, il parvient à faire mouche. Car contrairement à beaucoup de mauvaises satires, il ne prend pas de haut son sujet, traite ses personnages avec respect et arrive à créer de l’empathie auprès du spectateur. Se recentrant sur son personnage principal pour faire un parallèle avec les idées de grandeur véhiculées par une politique suprémaciste, il porte un regard intimiste sur le destin d’un homme qui se reflète dans la grandeur déchue d’une nation. On retrouve cette vision plus acerbe du genre humain qu’affectionne tant Michôd mais ici il les prend avec plus d’empathie. Il arrive à créer une cohésion de groupe assez forte entre le général et ses hommes, c’est avec eux que le film se montrera le plus drôle mais aussi le plus touchant. In fine l’écriture fonctionne malgré ses errances et ses dialogues pas toujours inspirés grâce à un propos qui détourne la banale critique de la guerre pour apporter une réflexion bien plus vaste et universelle sur l’ambition, l’ego et l’humain en tant qu’outil remplaçable.
Mais aussi la grande réussite du film réside dans son casting impeccable et surtout un one man show impressionnant de Brad Pitt. Embrassant totalement la caricature dépeinte par le film, il donne une prestation en forme de cabotinage mais qui derrière l’accent forcé et les grimaces cache un vrai travail en profondeur. Malgré une performance qui pourrait très vite tourner au ridicule, il arrive à dépeindre l’humain derrière le gradé, et offre un jeu tout en nuances et plus subtil qu’il ne le laisse paraître. Il fait parfaitement corps avec la mise en scène minimaliste de David Michôd qui reste dans la tradition de son cinéma. Préférant la composition du cadre minutieuse à l’extravagance visuelle, il travaille la symbolique de ses images et porte attention aux performances de ses acteurs captant les regards et les expressions plus que les mots. Mais c’est surtout dans son exécution de la violence que l’on reconnait le cinéaste, avec sa fascination de l’acte en tant que catharsis pour mettre en exergue la stupidité de celui-ci. La séquence d’assaut qui arrive en climax du film brille par sa violence sèche et sa précision qui prend vraiment aux tripes. Comme toujours chez Michôd, les coups de feu arrivent comme des jumpscares, brisant le calme et explosant hors du cadre pour résonner durablement chez le spectateur.
War Machine est à ce jour le film le plus accessible de David Michôd et qui par conséquent est aussi celui qui a le moins d’impact. Il apporte un regard peu subtil sur certains aspects de son scénario mais arrive quand même à faire fonctionner sa satire grâce à sa sincérité. Le cinéaste ne s’est pas fait broyer par la grosse machine qu’est Netflix, et au contraire cette dernière prouve que c’est une plateforme qui pourrait permettre à certains cinéastes de s’exprimer et toucher un nouveau public. C’est un peu le but de ce film qui trouve un double sens judicieux et s’impose par sa mise en scène précise et ses excellents acteurs, et qui souligne un message pertinent même s’il n’est pas toujours très bien souligné. Une réussite mineure pour le cinéaste donc, mais tout de même une réussite.
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le 30 mai 2017
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