Cahier d’un retour au pays brutal
« Wohin und Zurück » : Annoncé depuis le départ de la trilogie de Corti, ce retour à Vienne est le centre névralgique de sa démonstration. Chassés, déracinés, ses personnages ne vivent que pour revenir au pays. C’est dans les ruines fumantes de la défaite nazie que s’ouvre le film, dont la première partie montre avec finesse l’impossible dialogue entre vainqueurs américains et soldats allemands, morts de faim, de peur et de rage.
La complexité du statut des immigrés, devenus entre temps soldats américains, est ici à son comble : « Vous n’êtes rien à 100% », assène-t-on à celui qui se prétend américain. Mais elle n’est que peu de chose en regard de celle de la population restée sur place. Corti fait ici, avec tant d’autres intellectuels de son pays, le procès en règle d’un pays qui semble ne pas pouvoir se débarrasser du fascisme, quel que soit le tournant de l’histoire. S’en étant parfaitement accommodé sous la domination allemande, on attendant de le voir renaitre de ses cendres alors que les braises de la guerre ne sont toujours pas froides.
D’un pessimisme assez radical, Welcome in Vienna poursuit cette exploration d’une collectivité en proie à ses contradictions, ses compromissions et son incapacité à tirer des leçons de l’Histoire. Alors que s’affrontent des grandes idéologies, libérales américaines ou communistes soviétiques, l’homme sain d’esprit qui voudrait repartir sur de saines fondation ne sait plus à quel saint se vouer. Tout est de l’ordre de la négociation et de la manipulation, à l’image du marché noir qui gangrène l’aide humanitaire.
« On est au cinquième acte, et ils le jouent à toute vitesse », commente désabusé le personnage principal. Le théâtre occupe une place prépondérante dans cet épilogue : il s’agit autant de recommencer à se divertir que d’endosser de nouveaux rôles dans ce gigantesque jeu de dupe qu’est la libération.
Cynique, sans aucune illusion sur les débris d’une humanité définitivement souillée, la leçon laissée par l’Histoire dans Welcome to Vienna est implacable : elle a permis toutes les exactions et les bassesses les plus sordides, révélant l’animalité tapie au fond de chaque homme, et s’apprête à les pérenniser sous les costumes flambant neufs d’une civilisation renaissante.
Glaçant et nécessaire.