On regarde Wendy comme on enlace un rêve, un rêve qui, pendant près de deux heures, prend corps en une forme tout à la fois ancrée dans la terre et volatile, sujette aux élans intempestifs des enfants qu’elle représente avec somptuosité, poésie et rugosité. La caméra de Benh Zeitlin colle à la peau de ses acteurs, laissant libre cours à leurs mouvements pour mieux les saisir dans leur soif de monde et de vie, mais également dans le vertige qui résulte d’une prise de conscience du temps qui passe et de la finitude des êtres. Quelques secondes suffisent à révéler un grain, une texture, un relief, de la même façon que l’amant parcourt, émerveillé, le corps de l’autre au microscope et s’attarde sur l’organique.
Car si Wendy fascine, c’est parce que le cinéaste l’aborde en organisme complexe qui incorpore son spectateur, qui l’ingère de sorte à lui donner à voir et à vivre depuis l’intérieur le drame ainsi mis en scène. Nous sommes comme les deux héros avalés par la créature sous-marine : transportés dans un pays imaginaire par une énergie étrange et rassurante. Le bruit assourdissant du train se transforme en respiration, le chant de la Mère est repris en chœur par les jeunes et les vieillards, également filé par la partition musicale, aux cris répondent des éruptions volcaniques. Benh Zeitlin nous envoûte, il pense son esthétique comme un accélérateur de particules qui augmente notre rythme cardiaque, nous terrorise, nous ravit ; il fait acte de foi en l’amour maternel, consacré lors du baptême symbolique au cours duquel Peter et Wendy communient avec l’âge adulte.
Les influences se conjuguent et se synthétisent, de Sa Majesté des mouches (William Golding) à Moby Dick (Herman Melville), les registres fusionnent en un trouble visuel et sensitif qui nous laisse le souffle coupé. Certains y lisent un propos écologique, d’autres un divertissement adulte. Le long métrage est bien plus que cela : une impulsion pure, biologique, primitive, universelle et atemporelle, qui se lève en geysers pour mieux descendre dans les profondeurs secrètes de l’homme et atteindre la grotte des origines, cette grotte aux stalactites kaléidoscopiques et aux parois ornées de peintures rupestres.
La partition musicale renforce la tonalité épique de cette épopée flamboyante dont le point de vue à hauteur d’enfants permet, de manière presque paradoxale, de mener une réflexion puissante sur l’angoisse de l’homme adulte. Une relecture géniale de Peter Pan, un chef-d’œuvre qui consacre la puissance du geste artistique de Benh Zeitlin.