Le problème n'est pas de savoir qui, du père Jerry, 37 ans, ou de la mère Jeanette, 34, a tort. Le problème, c'est que Joe, leur fils unique, 14 ans, les aime également, qu'ils étaient heureux tous les trois jusqu'alors, et qu'il se demande avec angoisse ce qu'il va arriver, maintenant que des circonstances économiques adverses provoquent un délitement du couple de ses parents, délitement qu'il se sent incapable d'empêcher. Témoin silencieux des humiliations de son père, de son refus d'être un larbin, de sa volonté de rester droit dans ses bottes, témoin des frustations de sa mère, de sa révolte "féministe" (qu'il n'est évidemment pas en mesure d'identifier comme telle), de ses trahisons vis à vis de son père, de ses coups de canif au contrat de mariage, il se sent, à force, tenu de répondre en toute honnêteté aux questions de son père, mettant ainsi en route l'engrenage de la séparation de ses parents et assiste, impuissant à leur éloignement progressif et à l'éclatement de la cellule familiale.

L'affiche du film : les deux parents (Jeanette / Carey Mulligan et Jerry / Jack Gyllenhaal) assis en chiens de faïence avec, au milieu, en arrière-plan, un gros nuage en forme de champignon atomique, résume en une image une bonne partie de l'histoire. Oui, parfois, les circonstances font qu'entre deux êtres, qui jusqu'alors s'aimaient sans histoire, une déflagration éclate de façon imprévisible, quasi inattendue, et... il n'y a plus rien à y faire sinon peut-être, quand on est comme Joe un apprenti-photographe plein de sensibilité, qu'à prendre une photo (avant que le trio ne se sépare pour de bon et que chacun passe à autre chose) qui pérennise le souvenir de ces temps heureux... qui ne reviendront plus.


Ce que j'ai particulièrement aimé dans Wildlife, c'est que la technique y est complètement au service de l'histoire. La technique, on ne la remarque jamais ou si peu... mais elle est toujours là pour servir, magnifiquement, le déroulement de l'histoire.


Quand, par exemple, Joe découvre en pleine nuit que sa mère a reçu subrepticement, et couché avec, le "vieux" businessman dont elle s'est bizarrement entichée, le cadrage, les angles de vue de la caméra, la profondeur de l'image sont remarquables et pourtant, c'est la péripétie dramatique qui nous frappe : comment Jeanette ose-t-elle faire ça à Jerry (son mari qu'elle aimait et qui, comme pompier intérimaire, affronte le danger au loin) dans le lit marital et alors que leur fils dort, est supposé dormir, dans la chambre à côté ?


Tout ce qui concerne la photographie (décors intérieurs, extérieurs, lumière, cadrages, angles de vue) est très beau, très juste, juste ce qu'il faut : on est, on se sent vraiment dans le Nord-Ouest états-unien des sixties (en fait, au Montana), dans une petite ville rurale, avec en arrière plan, la chaîne des Rocky Mountains, avec ses forêts de pins qui flambent, jusqu'à ce que la neige de l'hiver vienne éteindre tout ça.
La bande son est très soignée également, mais très discrète dans ses effets et soulignements.
Et les rôles se limitent principalement à trois personnages : Jeanette la mère, Joe le fils et Jerry le père, auxquels s'ajoutent épisodiquement Warren le quinquagénaire businessman et Ruth une ado d'environ 14 ans qui, peu à peu, s'attache à Joe. Mais encore une fois, tout se passe essentiellement entre la mère et le père, avec pour témoin constant et impuissant : leur fils qui les aime tous les deux également et qui est de plus en plus catastrophé de la tournure que prennent les événements.
Il y a une grande économies au niveau des mots, des gestes et même des péripéties. Par contre, la caméra ne perd rien des expressions de visages, insiste sur les regards des différents protagonistes et presque toute l'histoire est dépeinte au moyen de ces expressions, car les acteurs du drame n'ont pas vraiment les mots pour expliquer leurs comportements, leurs sentiments. Oui, le message du film passe par les images, car les mots ne sont pas à la hauteur. D'ailleurs, qu'y aurait-il à dire ? L'histoire (d'amour) qu'ils ont vécu à trois : l'homme ("papa"), la femme ("maman"), le fils (Joe, qui les aime et les comprend également) est maintenant terminée, chacun ira vers son destin personnel. Joe le sait, le sent et juste avant, il fera une ultime photo d'eux trois, photo du bonheur qu'ils ont vécu, leur bonheur à trois, leur bonheur enfui.


Adapté du roman de Richard Ford (qui développe en filigrane une morale assez misogyne), Wildlife - Une saison ardente est une première réalisation de l'acteur Paul Dano, un premier film joliment minimaliste, sensible, et intensément vécu par Carey Mulligan, Jack Gyllenhaal et le jeune Ed Oxenbould.
Je l'ai beaucoup aimé et je vous le recommande.

Fleming
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le 20 déc. 2018

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