Will Hunting par zeugme

On sait tous maintenant qu'à part Clint Eastwood, y'a pas grand-monde d'aussi manipulateur dans ses films que Gus Van Sant. On voudrait bien dire Sam Mendes et Woody Allen pour les encourager dans leurs efforts, mais ils ne sont pas à la hauteur du maître. Le truc fort avec Van Sant, c'est que son intériorité le pousse toujours à nous manipuler (on peut voir ça positif et dire qu'il "met en scène" à mort) soit par manque de vécu, soit par mépris franc et ouvert de nos faibles capacités à comprendre le message.


(Good) Will Hunting est ce film type "leçon de vie" merveilleux - je le regarde une fois de temps à autres par pur plaisir masochiste - qui travaille très fort à nous inculquer la vie par la bande en évitant soigneusement ce qu'on pourrait appeler "La Vérité" si on avait le sens de l'humour. Bon, disons plutôt "La Réalité".



Par exemple, chez Van Sant une démarche thérapeutique culmine avec le fameux (c'est presque une putain de marque déposée par Hollywood) moment "cathartique". Tu fréquentes ton thérapeute jusqu'à ce fameux moment, cette fameuse réalisation, ou tout bascule et que la vie devient plus simple, apaisée, en ordre. C'est très cinématographique, sauf qu'à grande échelle c'est de la grosse merde. Un peu comme les films de sport ou le mec qui y croit finit forcément par gagner contre le type plus talentueux. Ouais, ouais, c'est pas impossible, mais si tu paries sur l'extrêmement improbable pour diriger ta vie, ben tu risques de suggérer Hitler comme lauréat possible du prix Nobel de la paix. Risky, risky !

En plus, côté "morale de l'histoire", bonjour la merde !

Contrairement à ce que dit Robin Williams en vieux psy qui va perdre son emploi vu qu'aux Zitat Zunis un psy peut pas vraiment prendre à la gorge un de ses patients et alouette tout est oublié, c'est entièrement de la faute du personnage s'il est un faible. Ceux qui sont convaincus que c'est entièrement son beau-père ne devraient pas critiquer les simples d'esprits qui ont voté pour Bush fils. Ils ont probablement les mêmes brillantes capacités d'analyse.

Ce que je veux dire par là, c'est qu'avoir été battu dans ton enfance ne peut pas être synonyme à 100% de "C'est pas ta faute". C'est un mirage, un mensonge, qui peut t'aider à court terme mais va te tuer à long terme. Au lieu de t'aider à te responsabiliser et à grandir, ça va t'enfermer dans le rôle de la victime à vie à cause de cette fausse conception du problème. S'il faut différencier ce qui t'es arrivé (viol, agressions, abus) de ce que tu es, à moins que ce qui te soit arrivé uniquement par hasard (je passais par là et un pur inconnu m'agresse), ce que tu es contribue à expliquer ce qui t'es arrivé.

Ah ben oui, c'est dur à accepter, mais si ça avait été un autre à la place de Will, il aurait eu un autre parcours. Peut-être qu'un autre aurait moins viscéralement tapé sur les nerfs du mec, peut-être qu'il aurait téléphoné à la police, peut-être que sa mère l'aurait aimé un peu plus et aurait agit autrement. En fait, avec une autre personne une infinité de petits détails aurait peut-être donné un autre résultat.

Alors quand Matt Damon se fait dire que c'est pas de sa faute et qu'il part à brailler, Nietzche se bouche très fort les oreilles pour ne pas aller lui éclater sa petite gueule de "J'y suis pour rien". On rembobine nos cerveaux sur la révélation de Matt : "Pour le faire chier, je prenais exprès la clé à molette" (plutôt que suggérer les poings ou la ceinture à son bourreau). Cherche pas plus loin, vieux.

La résolution des problèmes de la vie par l'impuissance, on y avait jamais pensé, merci. C'est comme ça que les parents d'enfants faibles sautent sur leurs agresseurs au lieu de se demander pourquoi leur enfant est une victime professionnelle : "Et si, pour ne pas affronter la vérité, je faisais de mon gamin un castrat pour la vie ?". La question qu'il faut se poser est plutôt : "Qu'est-ce que les autres perçoivent chez mon gamin pour se permettre de lui sauter dessus ?" puis ensuite "Pourquoi une fois qu'ils lui sautent dessus, ils ne le regrettent pas par la suite ?". Me dis pas que t'as jamais fait chier la mauvaise personne dans ta vie ? Le type que tu croyais faible et qui a faillit t'arracher (métaphoriquement ou pas) la tête.

Enfin bref, c'est pas grave, ce qui compte c'est qu'au terme d'une belle promenade avec son mentor, il est plus fonctionnel par magie. Si c'était transposable dans la réalité, le "Moment Cathartique" (tm), de façon systématique et rapide, y'a une bande de scénaristes qui seraient riches à faire passer Bill Gates pour un immigrant clandestin et pas mal de cabinet de psy qui fermeraient.

On pourrait parler de Skylar, la femme à la personnalité masculine ou du fait que la fameuse scène cathartique est cinématographiquement joyeusement repompée sur Ordinary People mais est-ce bien nécessaire ? Non vraiment, Will Hunting annonçait l'encore plus incroyable Milk. Je n'ose plus fréquenter Van Sant, mais ce pèlerinage annuel chez Good Will Hunting est toujours un vrai bonheur, que je partage avec vous en vous mentionnant que le script complet est ici :
http://www.imsdb.com/scripts/Good-Will-Hunting.html

Si vous voulez pas vous faire de mal avec un vrai bon film de thérapie sortit à la même époque, allez-y pour Antowne Fischer. C'est moins glamour et pas en mode Disneyise-ta-vie, par contre.