La relecture polonaise de War of the Worlds a l’audace de déplacer l’origine de la menace depuis les extraterrestres vers les dirigeants d’une société et le peuple qui en constitue le corps moutonnier, réduisant les martiens à l’état de stratégie publicitaire par laquelle convaincre les citoyens de donner leur sang et de sacrifier leur liberté. Ce qui intéresse Piotr Szulkin est le système de représentation, qui se décline de différentes manières : la perruque du présentateur tv, la multiplication des écrans, qu’il s’agisse de ceux de l’émission ou des caméras de surveillance, sans oublier les images diffusées en boucle dans les cafétérias et dans les espaces publics, les slogans radiophoniques qui manipulent l’idée de libre arbitre, soit la rencontre oxymorique au sein du même message entre une idéologie totalitaire et des formules de politesse. Par lucidité, le film ne cache pas longtemps sa propre nature contrefaite, et les subterfuges esthétiques par lesquels il manipule son spectateur sont explicités pour l’ouverture et la clausule qui insèrent le récit dans une mise en abyme du spectacle qu’il joue : d’abord l’irruption d’une caméra, ensuite le regard face caméra de l’acteur principal avant que ce dernier ne quitte le studio de tournage, disparaissant dans une lumière aveuglante.
En réaction à cette critique du divertissement et de la manipulation de masse, Piotr Szulkin fait naître l’esprit de résistance en la personne d’Iron Idem alors qu’un tel nom prédestinait le contraire, alliance du « fer » et du « même », et qu’il s’agissait du visage officiel du gouvernement en place : il montre ainsi que la révolte n’est pas une prédisposition mais qu’elle est issue du plus profond de l’être, de cette profondeur meurtrie, à ce point bouleversée dans sa sensibilité et dans ses valeurs qu’elle se met à remuer pour ne pas être niée. Iron Idem affirme son statut d’individu et s’oppose alors aux « moutons stupides » qui constituent non seulement le public visé par le totalitarisme mais aussi son moyen d’action. Comme il le dit très bien, il ne suffit pas d’arracher les fils de la télévision pour la faire disparaître puisque « la télévision c’est les gens ». Le cinéaste tire les tristes leçons de la propagande conçue et appliquée pendant la Seconde Guerre mondiale, qui entre en résonnance avec les pratiques politiques du gouvernement polonais du début des années 80.
Un grand film audacieux et stimulant.