Yella ressemble, par bien des aspects, au cinéma paranoïaque d’un Brian de Palma : perturbation du présent par des bruits et des nappes sonores renvoyant au passé, pulsions scopiques qui déchaînent le spectre de l’ex-mari dans la chambre d’hôtel ou dans le parc situé non loin de là, mises en abyme de la fiction mise sous les yeux d’un spectateur enquêteur que l’on invite à démêler le vrai du faux pour mieux, à terme, célébrer le faux comme accomplissement impossible de la réalité. Pourtant, loin des recherches démonstratives des formalistes, Christian Petzold compose une forme épurée à même de dire et de signifier l’accident, comprenons en latin « ce qui arrive » : les quelques secondes de vie deviennent minutes, la victime présumée du harceleur se change en héroïne d’une comédie dramatique sur fond de négociations économiques, révélant un talent en matière de satire.
Le personnage principal, en passant de l’Est à l’Ouest comme un défunt entre deux rives, figure une renaissance dans laquelle se projettent les fantômes des deux Allemagnes, omniprésents dans l’univers du cinéaste allemand ; il trouve d’ailleurs son épaisseur dans la tension qui l’anime et qui l’écartèle entre d’une part son ancrage terrestre fait de besoins – d’ordre matériel et sexuel – et d’autre part le poids d’un fatum qui s’abat sur lui, ici politique. Nul hasard si l’accident a lieu en voiture, véhicule qui, film après film, se charge d’une symbolique importante, non pas intime mais au contraire ouverte sur les conventions sociales, un espace de conflits dans lequel s’exprime et s’explore le conflit de l’être à lui-même. Nina Hoss est, une fois de plus, remarquable.