Qu'est-ce qu'un grand film ?
Un film à gros budget ? Un film d'auteur ? Un film au casting XXL ? Un film primé dans des festivals prestigieux ? Un film explosant le box office ?
Si on pouvait prétendre définir un grand film à partir de tels critères, la masse de contre exemples nous mènerait toujours systématiquement à l'échec. Que ce soit les blockbusters laids et ratés, les films chorales sans direction, les délires prétentieux de réalisateurs hors sols, l'avis d'une critique déconnectée ou les nanards populaires, force est de constater qu'il n'existe aucun critère simple et objectif permettant de définir un grand film.
Et pourtant
Malgré son petit budget, sa simplicité, son casting jeune et inexpérimenté, ses quelques prix dans des catégories annexes de festival et sa faible distribution en salle...
Young Hearts est un grand film.
Un immense film.
Et c'est ce dont je vais essayer de vous convaincre dans cette petite critique, se voulant plus un billet d'analyse personnel complet de Young Hearts qu'un simple avis. Bonne lecture.
Une histoire simple, et pourtant...
Elias (Lou Goussens), 14 ans, vit sa meilleure adolescence dans son petit village de la Flandre belge. Autour de lui, une mère aimante ; un grand frère... qui se comporte comme un grand frère, avec les chamailleries associées ; un père chanteur kitch et populaire, dans le sens le plus positif du terme, celui-là qui déclenche la joie et les sourire d'un public fan de ses textes d'amour un peu crétins et de son énergie, et que notre jeune héros accompagne bien volontiers lors de ses représentations publiques et concerts en plein air ; une bande de potes où tout le monde s'apprécie et se soutient ; une petite amie enfin, dont il semble tellement proche et complice que le spectateur, au début du film, pourrait penser qu'il s'agit de sa sœur, du fait aussi que leur relation, faite de rires et de sourires, apparait totalement vide de toute tension physique et affective.
Elias, par l'âge, est un jeune ado, mais de par son apparence physique prépubère et de par la naïveté émotionnelle propre à un garçon qui ne s'est juste jamais posé la question de ce que représente un sentiment amoureux, il est aussi et encore un enfant, à l'aube de ses premiers émois et bouleversement.
Le décors est ainsi planté en quelques minutes à peine. La lumière omniprésente, malgré un été de tournage difficile, indique déjà la couleur. On est ici devant un film qui se voudra et s'assumera solaire. Jusqu'au bout. Sans faux semblant ni twist de milieu de métrage venant tout bouleverser et en changer définitivement le ton (coucou Close... sur lequel je ne m'attarderai pas, vu à quel point tout a déjà été dit sur la relation amicale intense entre Anthony Schatteman, réalisateur de Young Hearts, et Lukas Donth, réalisateurs de Close, qui se sont toujours soutenus, encouragés, et même aidés dans l'écriture de leurs films respectifs, faisant de Young Hearts non pas un film inspiré par son prédécesseur, mais bien son miroir, son complément, son antithèse assumée et son pendant lumineux).
Sans audace mais dans le plus pur respect, presque scolaire, de ce qui fait une narration efficace, Young Heart, après une mise en place propre et assurée, nous introduit ainsi très rapidement son élément perturbateur, celui-là même sans quoi il n'y aurait pas d'histoire. Et cet élément a un nom. Ou plutôt un prénom. Alexander (Marius de Saeger). 14 ans lui aussi (le jeune acteur en avait encore 13 au moment du tournage, pour quelques semaines), jeune Bruxellois orphelin de mère, grand frère aimant, fils aimé par son père, et qui emménage subitement dans la maison en face de celle d'Elias. On excusera sans peine la facilité scénaristique pour s'attarder sur l'essentiel : l'incroyable aura qui se dégage, en quelques secondes à peine, de ce jeune citadin polyglotte (comme tout bon flamand élevé dans la capitale belge principalement francophone... à l'image de son acteur, d'ailleurs), suivant son paternel dans sa nouvelle vie professionnelle.
Ah, au fait, Alexander est gay.
Non pas qu'il en revendique l'étiquette. Ne cherchez pas sur ses vêtements le moindre petit drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel, et ne vous attendez pas non plus à un coming-out solennel en public, où même à une certaine extravagance qui laisserait "penser que"... Non, Alexander à tout de l'adolescent hétérosexuel classique, si ce n'est... qu'il aime les garçons. Ce qu'il assume, sans le revendiquer, si on lui pose simplement la question. Normal. Tout simplement normal.
À plusieurs niveau, Alexander se présente donc comme l'opposé d'Elias. Là où notre protagoniste vit à la campagne, son camarade vient de la ville. Là où Elias présente une immaturité affective totale, Alexander a déjà un vécu, et pas des moindre : celui du premier amour. Sensation qu'il décrit comme incroyable, qu'il découvrit auprès d'un garçon (garçon dont nous ne saurons jamais rien d'autre que le prénom), et qui lui valut de subir une certaine forme de harcèlement, peut-être pas si étrangère que cela au désir du père de se faire muter à la campagne, afin peut-être de mettre son fils bien aimé à l'abris. Enfin, Elias semblait ignorer même jusqu'à la possibilité pour un garçon de tomber amoureux d'un autre, là où Alexander l'a parfaitement intégré et normalisé, évoluant dans un milieu familial et artistique (on le découvrira plus tard dans le film) totalement ouvert et bienveillant.
Mais si on comprend immédiatement que l'élément perturbateur dans la vie d'Elias est l'arrivé de cet étrange Alexander dans sa rue, son école et même son groupe d'amis, ce n'est pas tant le fait que ce dernier "aime les garçons" qui provoque tous ces bouleversements. En réalité, il aurait pu ne pas s'y intéresser du tout que le film aurait continué sa route, sans même dévier de son chemin. Non, c'est bien le premier regard qu'Elias va lui jeter qui va tout enclencher. Ce premier regard où, immédiatement, il tombera amoureux de son nouveau voisin, sans être incapable de comprendre ce qui lui arrive.
Et c'est donc de cela dont le film va nous parler : les sentiments d'Elias, la manière dont il les réalise, les troubles que cela occasionne en lui, sa peur du qu'en dira-t-on et du regard des autres, à commencer par celui de sa famille et de ses amis (sans jamais réaliser que, de très loin, celui qui a le regard le plus sévère et cruel sur ses sentiments, c'est lui-même), et son cheminement vers sa propre acceptation.
Un film magnifique
Résumée ainsi, l'histoire de Young Hearts parait d'une simplicité confondante. Elle l'est. Parce que ce n'est pas un film qui vise tant à raconter quelque chose qu'à montrer quelque chose. À savoir l'évolution émotionnelle d'un adolescent qui va tomber amoureux pour la première fois de sa vie, qui va douter, hésiter, être heureux, souffrir, mais n'arrivera jamais ni à calmer ses tourments intérieurs, ni à renoncer à ses sentiments.
Antony Schatteman rend donc une copie quasi parfaite. A savoir proposer une histoire qui n'est pas tant la sienne - malgré l'intimité qu'il nous livre à travers les lieux choisis, qui sont ceux de son enfance (sa rue, son école, son village...) et les situations qui rappellent son vécu (sa découverte de la sexualité, ses questionnements, sa relation avec sa famille) -, que celle qu'il aurait souhaité qu'on lui raconte, quand à cet âge, il se retrouva à s'interroger sur lui-même.
Il a souhaité un film lumineux, il l'a donc tourné en été. Il voulait un film qui parle à toutes les générations, il l'a épuré de toute forme de vulgarité, de tension sexuelle et de marqueur temporel. Il désirait parler d'amour, il en a cueilli les plus beaux instants pour les immortaliser de sa caméra. Il avait en lui ce besoin de raconter une belle histoire, qui finit bien, et qui, sans appeler de manière appuyée et insistante à la tolérance, l'impose comme une évidence. Et ainsi, on ne peut ressortir de Young Hearts sans une infinie tendresse pour ses personnages. On ne peut nier la force et la sincérité de cet amour adolescent. C'est peut-être de cette manière qu'on réalise un film monde. Non pas parce qu'il illustrerait toute la complexité et subtilité de la réalité. Mais parce qu'il s'impose tout simplement par sa force et sa luminosité.
Avec Young Hearts, Anthony Schatteman réussit ce pari de nous offrir une romance ni cringe, ni nunuche. De produire une histoire queer ni dramatique, ni étouffante. De nous ensevelir sous festival de larmes qui donnent plutôt envie de sourire et qui font du bien. Là est le talent. Young Hearts est de ces films où on en ressort simplement apaisé, peut-être même heureux. Où on n'a qu'une seule envie, y replonger, pour revivre encore un tout petit instant cet éternel été hors du temps. A côté, aussi, de ces personnages merveilleux, capables de toucher toutes les générations, spectateurs de leurs premiers émois.
Les plus jeunes, déjà, qui pourraient se reconnaitre dans cette histoire, et qui ne pourront que se sentir apaisées et "normaux" en en sortant, loin des clichés et de l'incompréhension.
Mais aussi les autres jeunes qui, sans se reconnaitre dans ces personnages, pourraient y retrouver des amis, des connaissances, des proches, et simplement apprendre à les comprendre et à les accepter, de part cette leçon de vie qui vaut bien des milliers de discours moralisateurs.
Et puis les parents et grands-parents, bien sûr, à qui le film rappelle ce que cela signifie d'aimer ses enfants. Un sentiment qui, dans notre réalité, rencontre un mur parfois insurmontable pour certains, celui de simplement comprendre et accepter quelque chose sur laquelle personne ne peut avoir de prise, et qui n'est un drame que lorsqu'on décide qu'il doit en être ainsi.
Des acteurs magnifiques.
Bien entendu. Comme une évidence. C'est peut-être d'ailleurs là une des plus grandes preuves du talent d'Anthony Schatteman. Car il effet, il ne raconte pas. Il montre. Il capture. Il dirige.
Quel talent faut-il développer pour trouver les acteurs qui sauront à la perfection servir un propos ? Quel talent faut-il pour les amener à, non pas jouer des sentiments, mais les incarner ? Les vivre, les faire siens et nous les rendre ?
Qu'importe si les jeunes Lou et Marius, à l'époque du tournage aussi naïfs et inexpérimentés que leurs personnages Elias et Alexander, ne se sont jamais sentis concernés par des émois homosexuels. Parce que leur talent, leur implication, leur complicité et leur charisme indescriptible suffit à rendre cette histoire tout simplement réelle. Que Lou et Marius soient devenus les meilleurs amis du monde, en dehors des plateaux, n'empêchent en rien qu'Elias et Alexander soient les deux jeunes amoureux les plus sincères dont le monde du cinéma ait pu accoucher ces dix dernières années.
Le réalisateur l'admet : le casting s'est révélé compliqué. Jusqu'à l'évidence même. Un jeune garçon brun, suivant les mêmes études au même endroit qu'un certain Gustave, tout aussi brun, ayant déjà crevé l'écran quelques années plus tôt dans le film jumeau, Close (que le monde est petit...). Un jeune garçon donc, plus intéressé par sa partie de foot que par le casting qu'on voulait lui faire passer, mais qui aux yeux du réalisateur dégageait quelque chose de tellement cool et libre qu'il n'y avait finalement que lui pour interpréter Alexander. Et il est vrai qu'il ne s'est pas trompé. Marius de Saeger, puisque c'est de lui dont il s'agit, possède cette aura naturelle qui balaie tout sur son passage. Il lui suffit d'être là, devant la caméra, pour incarner tout ce qu'est son personnage. Une multitude de sentiments masqués derrière une apparente insouciance et une feinte retenue. Des fêlures et des blessures maquillées derrière le sourire le plus sincère et charmeur qui soit. La joie de vivre simplement sa jeunesse sans se soucier des autres, mais sans pour autant y être insensible.
Jusqu'à se dire que seul cet acteur pouvait incarner l'Alexander dont Elias tomberait amoureux. Comme s'il était simplement impossible qu'Elias ne tombe pas amoureux de lui. De ce sourire. De ce petit accent chantant dès qu'il marmonne quelques mots en Français, allant du simple "Bonjour" au très élégant "En garde" d'un combat d'escrime improvisé dans une maison abandonnée. Et une autre chose, aussi, dont il sera question plus bas dans ce texte.
Anthony Schatteman avait ainsi trouvé son Alexander. Il ne lui restait plus qu'à mettre la main sur son Elias. Et Lou Goussens apparut là, comme par magie, quelques jours plus tard. Comme une évidence aussi. Presque comme un miracle, aussi prodigieux et inattendu que la couleur intensément bleutée de ses yeux.
Il faut parfois être capable d'admettre ce qui relève des faits et non pas de la simple opinion. Lou Goussens est indubitablement un des acteurs les plus doués de sa génération, si ce n'est le plus doué. Dans Young Hearts, il réussit tout et ne rate jamais rien. Comment imaginer qu'un jeune garçon qui assimile le fait d'embrasser son partenaire de jeu à la même chose que poser ses lèvres sur une table puisse à ce point paraitre aussi sincère, à chaque instant ?
Y a t-il seulement un seul moment dans ce film où Lou ne donne pas corps et vie à Elias et à ses sentiments ?
De son insouciance joyeuse devant les prestations musicales de son père au tout début jusqu'à cette toute dernière scène du film où, délicatement, il glissera ses doigts entre ceux de son amoureux, il n'y a pendant 1h40 de film qu'Elias.
Bien sûr, le reste du casting est incroyable. Ce père déconnecté et tellement imbu de lui-même qu'il se retrouve incapable d'imaginer que les tourments de son fils n'ont rien à voir avec sa personne, cette mère aimante et compréhensive que tous les ados rêveraient d'avoir, ce frère (joué selon la volonté d'Anthony Schatteman par le véritable frère de Lou) moqueur mais en réalité infiniment tendre envers son cadet, ce grand père incroyable d'affection pour son petit fils, cette bande de potes qu'on souhaiterait tous avoir, jusqu'à cette petite amie ne supportant pas d'être concurrencée mais finissant par comprendre et accepter le garçon qu'elle aime et en deviendra même son plus grand et inattendu soutien, jusqu'à se réjouir sincèrement d'un happy end dont elle aurait pu être exclue, mais où, à la place, elle restera une des figures centrales.
Tous sont parfaitement incarnés. Mais tous n'existent qu'à travers leur relation avec Elias. Et Elias n'existe qu'à travers l'incroyable justesse de son interprète. Interprète qui ne joue pas, mais qui vit, dans chaque regard, dans chaque gestuelle, à chaque instant, les tourments de son personnage.
Des scènes mémorables
Qu'il est difficile de parler d'un film qu'on aime, et d'expliquer pourquoi on l'aime, sans trop en dire ou tout divulgâcher. Ceux qui auront vu le film verront très bien à quoi chacun de mes mots font référence. J'ose espérer ne pas en avoir trop dit pour les autres qui, par hasard, tomberaient sur ces ligne avant de découvrir Young Hearts. Mais quand même. Il y a des scènes qui méritent qu'on en parle plus en détail. Ainsi, se reconnaitront ceux qui doivent passer leur chemin jusqu'à la conclusion. Pour les autres, parcourons encore ensemble tous ces moments marquants, dans l'ordre de la narration.
Comme évoqué plus tôt, ce film ne cherche pas à raconter. Il montre. Il ne parle pas d'amour, il nous le fait ressentir. Au point même où, à aucun moment, nous n'auront droit au sempiternel "je t'aime" larmoyant d'un personnage à l'autre. Non, dans Young Hearts, les déclarations d'amour sont plus subtiles. Plus belles aussi. Un baiser (le film n'est pas avare en tentatives d'embrassades et embrassades, et la première arrive relativement tôt, de manière naturelle et partagée), une confession, une officialisation unilatérale... Et si nous en parlions ?
Parlons-en, de ce premier baiser entre Alexander et Elias, où, douchés par un orage, les deux garçons trempés jusqu'aux os se cachent à l'abris en attendant que cela passe. Et où, pour réchauffer le plus ingénu, le moins timide lui souffle de l'air chaud sur le dos, avant de l'envouter de son regard et de fondre sur ses lèvres, première déclaration d'amour sans le moindre mot où Alexander assume pleinement qu'Elias fait bien parti des garçons qui peuvent lui plaire, et où Elias, non heureux de simplement se laisser faire, semble crier intérieurement le mot "encore". Rapide, inattendu, provocateur et sincère.
Parlons en de cette incroyable confession, de cette scène sans doute la plus mémorable de tout le film où Elias, tirant une tronche d'enterrement après s'être magistralement comporté comme un con de son âge la veille, s'isole avec Alexander et lui chuchote les raisons de son mal être, la tête délicatement posée entre le haut de son torse et son cou.
Je veux être avec toi
Une phrase qui peut sembler innocente, mais qui, portée par l'incroyable sincérité de Lou Goussens, touche le spectateur en plein cœur. Elias ne cherche pas à exprimer son amour, qu'il n'arrive même pas à comprendre lui-même, et c'est donc avec des mots simples, des mots enfantins, qu'il transmet ses sentiments, mues en besoin. Un besoin à peine audible, et qui pourtant scelle la relation entre les deux garçons. Il y a un avant et un après. Avant, il y a le flirt, la drague, le rapprochement, le doute. Après, il y a l'évidence. Une évidence qu'Alexander prendra comme une déclaration. Mieux, comme une officialisation. Sans même chercher à s'assurer qu'Elias est bien, à ce moment-là, sur la même longueur d'onde.
Ce qui amène à une autre scène incroyable, peut-être la plus belle de toute le film.
Parlons en, de cette virée des deux amoureux à Bruxelles. Alexander le citadin trop heureux de faire découvrir son monde à Elias, avec tous les clichés sur cette ville réuni en un seul plan : deux gamins bouffant une gaufre liégeoise, tout sourire, en regardant le Manneken Pis. Puis ensuite, enfin, la visite d'un cabaret transformiste, tenu par des proches d'Alexander. Et là, l'état de grâce.
Alexander qui présente directement Elias comme son "petit copain" (en français dans le texte), affichant son état d'esprit au sujet de leur relation, suite à la douce confession qui précédait.
Elias, ne parlant que néerlandais, s'interrogeant sur le sens de ce terme, qui lui semble fort étrange, qu'il imagine comprendre mais qui l'interpelle et le surprend.
Puis la magie. Une magnifique reprise de la chanson francophone "J'aime la vie", vainqueur de l'eurovision 1986 pour la Belgique, par l'époustouflante Drag Queen LaDiva, accompagnée au piano par les quelques notes douces d'Alexander, devant un Elias comme plongé en plein rêve, peut-être pour la première fois de sa vie, enfin à l'aise avec ses sentiments.
Moi j'ai 15 ans et je te dis... whohoho, j'aime la vie. Ne m'en veuillez pas, je suis né comme ça. J'aime la vie".
Un instant suspendu suffisamment fort pour qu'Elias assume à son tour, fondant après la représentation sur les lèvres d'Alexander, en le provoquant d'un complice "petit copain, hein ?", indiquant qu'il n'est pas contre l'idée de jouer ce rôle qu'on lui aurait presque imposé.
Et puis le drame.
Intime et personnel.
Car c'est une chose d'aimer et de montrer à l'être aimé qu'on l'aime.
C'en est une autre que d'assumer en pleine lumière.
Là où Alexander, suite à cette virée à Bruxelles et à tous les bons moments passés ensemble, considère la chose comme entendue, se permettant ainsi des signes d'affection en public auprès de celui qu'il considère comme son petit ami officiel, Elias va réagir comme un con. En refusant une de ces démonstrations au nom du qu'en dira-t-on.
S'en suit une des scènes à mes yeux les mieux joués par les deux acteurs, où l'éconduit du jour, furieux, engueule copieusement son camarade - recroquevillé dans sa honte, presque incapable de justifier sa stupide réaction, et plus que jamais vulnérable et enfantin - avant de l'envoyer paître au nom du fait que, ce genre de conneries, c'était pour lui "so l'année dernière" comme on dirait, et qu'il a autre chose à foutre dans sa vie que de se soucier de ce que pensent les gens de sa gueule.
Ainsi commence l'introspection, la rage et la colère. L'introspection sur ces putains de sentiments, si faciles à vivre en tête à tête, mais impossible à assumer à l'école ou en famille. La rage face à un père qui ne comprends absolument rien et s'imaginer que son fils irait mal à cause de moquerie de camarades au sujet de sa musique à lui - risible et déconnecté -, et la colère, prétendument envers ce foutu Alexander qui a mis le bordel dans sa vie et sa tête, mais surtout contre lui-même, incapable d'être le jeune adolescent normal qu'il s'imagine que les autres souhaiteraient qu'il soit.
Alors, Elias essaya. Il essaya d'aimer sa meilleure amie fille, au nez et à la barbe du garçon qu'il aimait vraiment. Il essaya de se comporter "normalement". Il essaya même de ne pas être jaloux. Il échoua lamentablement. À cause d'une autre scène forte. Celle d'un jeu d'ado. Celui consistant à faire tourner une bouteille vide et d'embrasser la personne désignée. Vint le tour d'Alexander. Où intimement, on ressentait chez Elias le sentiment le plus contradictoire qui soit : la peur d'être choisie par le hasard et de devoir accepter l'inacceptable. L'envie, aussi, d'être choisi par ce même hasard, quitte à devoir se sacrifier, ne pouvant dans un cas comme dans l'autre accepter ni même imaginer l'impossible : qu'une autre soit choisie à sa place.
Ou un autre.
Ce qui arriva, fatalement.
Autre qu'Alexander embrassa sans aucune envie, mais sans non plus aucune hésitation. Dans un seul but. Fusiller à l'issue de la scène, d'un regard qui voulait dire tant de chose, un Elias sous le choc.
C'est ça, montrer sans dire. C'est là aussi où le film réussit aussi bien. On comprend tout de ce regard, parfaitement lancé par le jeune Marius à son partenaire de jeu.
Moi j'ai pas honte.
Il n'y a pas de problème à embrasser un garçon, t'as vu ? Personne ne dit rien, tout le monde s'en fout, sauf toi.
T'as le seum hein ? Avoue que t'as le seum
ou même
Je t'aime, connard, et tu m'as brisé le cœur, alors mange toi ça dans les dents.
Anthony Schatteman n'a écrit aucune ligne de dialogue à cet instant. Et pourtant, rarement regard n'aura été aussi bavard et évocateur. Rien n'est prononcé, mais tout est dit. Elias explose. Et commet le pire. Il se lève, pleure et crie. Il critique Alexander. Le blâme pour tout. A commencer pour avoir débarqué dans sa vie et y avoir foutu le plus grand des bordels. Et l'insulte. Lâche le mot. Le traite de "gay" en affirmant, lui, ne pas être pareil. Le outant à l'occasion devant tous les amis, trop incrédules pour réagir devant une réalité que, sans doute, beaucoup avaient devinée. Le mot "gay" n'aura été utilisé qu'à deux reprises dans le films. Une fois à cette instant. Une fois plus tôt quand une bande de "grands" s'en était pris à Alexander, qui s'était vengé en faisant tomber leurs vélos à terre. Sans doute parce que ce film ne parle pas d'homosexualité mais d'amour, et où la moindre étiquette, quelle qu'elle soit, n'est rien d'autre qu'une insulte dans un tel contexte.
Le mot de trop. Celui qui, avec l'invitation immonde de retourner à Bruxelles, fit sortir Alexander de ses gongs, lui pourtant toujours impassible et détaché. Parce que venant de cons, on peut s'en amuser et s'en foutre. Mais venant de celui qu'on aime ? Parfois, seul l'anglais permet de répondre à certaines choses.
Fuck you Elias.
Un fuck you sorti du cœur que le jeune protagoniste interprètera comme un bon vieux "tu peux bien crever, j'en ai plus rien à foutre". L'entrainant dans le dépit, la culpabilité, la dépression, et même l'envie de se laisser mourir. Ce qu'il aurait pu faire, si un grand père amusé devant l'extrémisme d'une telle réaction, après l'avoir récupéré de sa fugue et emmené avec lui en voyage pour se vider la tête, ne lui avait pas rappelé qu'une fois mort, s'il avait besoin de lui, il l'attendrait sur la terrasse. Et seul un grand père aussi tendre,, humain et proche de son petit fils pouvait libérer Elias de ses chaines et lui donner le courage d'enfin admettre et surtout assumer la vérité. Cette vérité évidente au premier regard, qu'il a toujours su au fond de lui, contre laquelle il a lutté en vain. Cette vérité qu'enfin il déballe, en voiture, à sa mère. En lames. En jurant d'avoir essayé de changer. En s'excusant presque de ne pas avoir réussi à ne pas ressentir ce qu'il ressentait.
Oui, il aime quelqu'un. Ce quelqu'un, c'est Alexander.
Et le jeune acteur qui te le balance en pleine tronche comme si c'était de sa vie à lui dont il était question, c'est Lou Goussens.
Parfois, il faut simplement savoir s'incliner et dire bravo. Simplement.
Un grand film
Il est peut-être enfin temps de réponde à la question posée en préambule. Qu'est-ce qu'un grand film ?
Un grand film n'est pas nécessairement un film qui a du succès, qui explose le box office, qui reçoit toutes les récompenses du monde, qui est salué par une critique unanimement dithyrambique, ou qui aligne les stars et les dollars.
Un grand film, c'est simplement un film qui marque son public. C'est un film dont on ressort changé, différent. C'est un film qui crée en nous des émotions : du rire, des larmes, de la joie, du bonheur, de l'attachement. C'est un film qui réussit à faire ce à quoi il se destine, sans chercher plus, sans apporter moins. C'est un film qu'on a envie de voir, de revoir, de revoir encore, lové sous un plaid près de la cheminé en hiver, l'écoutant en arrière plan en faisant autre chose, où le dévorant pour la centième fois au fond de son lit à chaque petit coup de moins bien.
Un grand film, ce n'est pas quelque chose d'objectif. Cela tient plus de l'intime. Du personnel. Du ressenti. Un grand film pour moi ne le sera pas forcément pour toi, car dans nos différences, nous n'attendons, ne comprenons pas les mêmes choses.
Un grand film, c'est un film qui, simplement, arrivera à toucher au cœur ne serait-ce qu'une personne. Qui, par son propos, son message, ce qu'il est et dégage, changera au moins une vie, aidera au moins un individu, restera toute une vie dans au moins une mémoire.
En cela, il n'est point permis d'en douter.
Young Hearts est un très grand film.
Merci monsieur Schatteman. Merci et bravo à vos acteurs. Puissiez-vous les protéger et les accompagner dans la brillante carrière qui s'offre à eux.
Et à vous qui m'avez, par hasard ou pas erreur, lu jusqu'au bout.
Aimez des films. Aimez des gens. Aimez la vie.
Parce qu'on a tous eu 15 ans un jour.
Moi j'ai 15 ans et je te dis... whohoho, j'aime la vie. Ne m'en veuillez pas, je suis né comme ça. J'aime la vie".
NB : le film ne semble pas destiné à avoir droit à une "VF" ou à une quelconque traduction. C'est pour le mieux. Le mélange de néerlandais et de français l'inscrit dans sa réalité. La justesse de l'interprétation interdit tout doublage. Acceptez le film comme il est, comme les amis et la famille d'Elias l'ont accepté.