Viré des studios de la Nikkatsu en 1968 pour incompatibilité de style, Seijun SUZUKI entame une traversée du désert d’une dizaine d’années. Ce n’est qu’en 1980 que ce réalisateur atypique et génial réalise Mélodie Tzigane, premier opus de la Trilogie Taisho. Suivront Brumes de chaleur en 1981 et Yumeji en 1991. Trois films qui se caractérisent par une forte identité visuelle et des thématiques rappelant l’âge d’or du surréalisme. Les éditions Eurozoom rééditent dans un coffret DVD/Blu Ray cette œuvre aussi fascinante que déroutante.
Histoires de fantômes nippons
Dans Mélodie Tzigane, deux amis de longue date rencontrent une geisha qui ressemble étrangement à une femme qu’ils ont aimée. Ces deux mêmes thèmes, celui du dédoublement et de la femme fatale, alimentent également l’intrigue du deuxième film, Brumes de chaleur, adapté du roman d’Izomu Kioka. On y suit l’errance mentale d’un dramaturge épris de l’épouse pourtant décédée de son mécène. Enfin, ce sont les tourments de l’aquarelliste Yumeji Takehisa qui ont librement inspiré le réalisateur pour son film éponyme. Le peintre devient le rival d’un fantôme pour avoir côtoyé sa veuve dotée d’une beauté captivante. Trois récits ponctués d’ellipses peu orthodoxes qui invitent le spectateur à une rêverie, parfois chaotique, souvent langoureuse, entre Éros et Thanatos.
Années folles et influence allemande
Les trois films ont en commun la période de l’ère Taisho (1912 – 1926). Pendant ces années d’entre-deux-guerres le Japon, comme l’Occident connurent un regain d’intérêt pour la science des rêves et la psychanalyse. De fait, l’onirisme est quasiment omniprésent dans la Trilogie. Parallèlement, Seijun Suzuki reprend à son compte une esthétique baroque inspirée de l’Allemagne des années 20. On retrouve cette influence dans les décors (les scènes de cabaret de Brumes de chaleur et Yumeji) ou dans la folie très expressionniste de certains personnages (les trois mendiants de Mélodie Tzigane par ailleurs intitulée originellement Zigeunerweisen). L’émancipation des femmes et l’affirmation d’un érotisme échappant aux clichés du genre sont d’autres marqueurs de cette époque très présents dans la Trilogie Taisho.
Ero guro nonsensu
On retiendra surtout de ces films de Seijun Suzuki leur audace artistique proprement décoiffante. Un mélange détonnant de grotesque, de non-sens et d’érotisme qui semble tout autant emprunter à l’univers de Tati pour l’absurde, de Fellini pour l’exubérance et de Buñuel pour la sensualité contrariée. Un triptyque surréaliste qui réserve entre deux errances oniriques – et il faut le dire parfois difficiles à suivre pour un spectateur non averti – des scènes d’une stupéfiante beauté. Tels ces décors de théâtre s’écroulant les uns après les autres dans la conclusion de Brumes de chaleur. Ou bien la course-poursuite burlesque et magnifique du peintre Yumeji traqué par une brute épaisse montée sur un cheval blanc.
Yumeji : 8/10
Brumes de chaleur : 7.5/10
Mélodie tzigane : 7/10
Critique de la trilogie Taisho à retrouver sur le MagduCiné