Jeune turc
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Ce premier long métrage de Nehir Tuna pourrait être présenté comme une variation des 400 coups dans un contexte bien singulier, celui de la fin des années 90 en Turquie, où les tensions sont exacerbées entre les laïcs et les islamistes. Amhet, 14 ans, navigue entre les deux mondes, apprenant l’anglaise dans une école privée laïque en journée avant de rejoindre un Yurt le soir, internant radical dans lequel on l’initie avec rigueur aux principes religieux.
Si les éléments symboliques et les enjeux narratifs sont parfois un peu trop soulignés, la finesse et la sensibilité du personnage entraîne assez vite le récit. Car le cinéaste, qui évoque ici en grande partie sa propre jeunesse, privilégie avant tout le point de vue d’un individu en formation, ballotté entre dogme, pression sociale, surgissement des sens et épanouissement personnel. L’attention portée à la photographie en noir et blanc dessine ainsi un univers perçu à fleur de peau, où le jeune garçon peine à trouver sa place ; influencé par l’autorité paternelle exploitée par les maîtres religieux et la promesse d’accès à un cercle d’initiés, les tentations d’une pensée magique propre à l’enfance sont encore nombreuses, et les intérieurs de l’internat reproduisent avec pertinence la construction d’un embrigadement, entre brimades et promesses d’une supériorité mystique. En contrepoint, l’éveil des sens ajoute à ces lignes claires un grain nouveau, alimenté par les poussières dans l’air, l’éveil des sens, entre effroi et volupté, qui évoquent bien évidemment le cinéma sensitif de Xavier Dolan.
La réussite du film consiste à toujours rester sur cette ligne de crête, brassant de nombreux thèmes clivant pour lesquels le personnage n’est pas en mesure de choisir : engagement religieux et liberté de conscience, attirance pour la jeune fille du lycée ou le compagnon de dortoir, découverte de ses privilèges sociaux face aux déshérités qu’il fréquente… Le récit initiatique procède moins par apprentissages que prises de conscience de la présence de forces contraires, le courant de l’un n’entraînant pas nécessairement l’effacement de l’autre. Dans le marasme de ces remous, Ahmet devient le symbole d’un pays au carrefour de son histoire, l’inexpérience de son adolescence renvoyant aux atermoiements de toute une civilisation en quête de sens, et prête à basculer dans la violence pour se convaincre d’avoir fait le bon choix. La dernière partie, qui s’ouvre à la couleur, ne dit pas autre chose, lorsque la fugue libertaire vire à une exacerbation des tensions (sociale, amicale, sexuelle), climax esthétique et narratif qui, sur le plan humain et philosophique perpétuera surtout le doute et l’impossibilité de se savoir dans le droit chemin.
(7.5/10)
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le 5 avr. 2024
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