Je n'aurais jamais découvert Collage sans cette recommandation de Christine Love. Dix ans ont suffi pour que les hyperliens se brisent et que le souvenir se perde. Internet a la mémoire tragiquement courte.
Pourtant, ce petit doujin a laissé quelques traces parmi les plus anciens lecteurs de visual novels en Occident. Sa diffusion remonte à l'édition 2006 de alt|together, un évènement en ligne qui rassemblait des traducteurs pour rendre autant de visual novels que possible disponibles en anglais, le tout en un mois seulement. Si le jeu a alors marqué les esprits, c'est principalement par son usage de points de vue multiples pour conter une histoire.
Collage, c'est une même semaine vécue successivement par trois protagonistes liés de manières qu'ils ne soupçonnent pas. Trois destins liés par des coïncidences, trois personnages qui se regardent l'un l'autre. Chaque itération apporte un éclairage, ironique, sérieux ou simplement comique, sur les évènements déjà connus. Collage, c'est inciter une amie à avouer ses sentiments à celui qu'elle aime puis incarner l'heureux élu, incapable de se rendre compte de l'attention qui lui est portée. C'est aussi passer un week-end à échanger des souvenirs une amie retrouvée, puis observer le contraste avec sa morne vie professionnelle depuis le point de vue de son supérieur.
Mais en 2015, ce montage est connu et n'apparaît plus si novateur. Il est surtout dommage qu'au lieu d'une belle intrigue ou de portraits psychologiques, il ne serve qu'une comédie romantique, qu'un triangle amoureux où chacun doit trouver sa place pour que tout finisse bien. Collage est ingénieux, mais inachevé.
Difficile d'ignorer tous les signes qui montrent qu'il s'agit d'un jeu amateur fait d'un peu de tout et rien. Toutes ses musiques ont en commun ce rythme répétitif et vaguement groovy qu'un débutant produit facilement dans un logiciel de montage audio. Le genre de morceaux gratuits capables d'accompagner aussi bien une vidéo de vacances qu'un petit jeu gratuit. De même pour ses arrières-plan photographiques auxquels ont été appliqués quelques effets de style. Tous vus dans plus d'un jeu, tous issus de bases de données gratuites. Collage me rappelle ces dizaines de jeux créés avec RPG Maker, leurs graphismes identiques, leurs musiques similaires. Mais il me rappelle aussi que s'il y a tant de conformité dans cette production, c'est d'abord parce que que n'importe qui peut se lancer. Il me rappelle que malgré les contraintes techniques, le visual novel est un médium accessible, et qu'il est toujours possible d'exercer un peu de créativité, de bricoler un peu, et de raconter quelque chose de personnel.
Il n'y a rien de remarquable dans les graphismes de Collage, mais je me souviendrai de ses transitions rapides et du rythme effréné de Tokyo. J'oublierai probablement vite son histoire, mais je me souviendrai de son atmosphère si particulière qui transpose la comédie tranche-de-vie du monde du lycée à celui de la vie adulte. Collage présente des personnages dysfonctionnels, non pas parce qu'ils sont impopulaires en classe, mais parce qu'ils doivent trouver du travail, parce que leur vie est morne, ou parce qu'ils perdent leurs amis d'enfance de vue.
Il n'y a rien qui en fasse un chef d'œuvre. Juste assez pour que je me demande combien d'autres bricolages comme celui-ci existent, quelles histoires ils racontent, et si j'aurai jamais la chance de les entendre un jour.
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