Qui que vous soyez, amis lecteurs, tentez l’aventure Outer Wilds ! Comment ? Vous n’aimez pas les jeux vidéo ? Ok, chacun son truc, après tout.
Mais sans déconner, faites-le quand même.
Parce que ce petit trésor, initialement simple projet étudiant, est une expérience très singulière. Bijou de game design, ode à l’exploration, lettre d’amour à la curiosité, la science et l’astronomie, Outer Wilds est, avant tout autres choses, une porte vers un ailleurs fascinant, le vecteur d’un indicible vertige qui nous renvoie à notre insignifiance.
Ensorcelé par sa mélancolie, veillez à ne pas vous fier de trop à la mignonnerie de vos frères extra-terrestres, ni à l’atmosphère bon enfant qui baigne votre village natal, vous réaliserez bien assez tôt qu’Outer Wilds est, en réalité, une expérience éprouvante. Effarante. Presque terrifiante. L’horreur n’y prend pourtant pas les traits de la monstruosité et de la laideur, mais ceux de l’inconnu et du gigantisme renversant. Et ceux-ci s’avèrent bien plus oppressants. Dans Outer Wilds, l’angoisse naît de la simple présence cosmique de l’Univers. Écrasante. Suffocante. Car la place que vous y occupez se réduit à peu de choses, petite pierre ballottée par le courant.
Après quelques premiers pas dans la chaleur réconfortante d’Âtrebois, il sera temps pour le jeune astronaute que vous incarnez de prendre son envol. C’est là que votre vertigineuse odyssée débutera. Un premier décollage audacieux, l’appréhension tâtonnante des forces gravitationnelles qui gouvernent ce monde, et un alunissage en catastrophe constitueront sans doute vos premières suées dans Outer Wilds. Autant vous le dire d’emblée, vous n’en êtes qu’à vos débuts. Empreinte d’une douce poésie, la découverte des planètes exotiques qui vous entourent vous baladera entre béatitude et frisson. Elle ne pourra se faire sans déclencher une forme d’humilité face à la beauté et la grandeur d’une nature qui nous dépasse.
Viendra alors cet instant précis. Celui de la course, de la fuite. De l’urgence à vivre. Encore un peu. Cette soif intense de compréhension avant la fin. Cette volonté suprême d’en savoir plus, d’étirer le temps, quel qu’en soit le prix. Pour échapper à l’issue fatale. Puis, tandis que la résignation l’emporte, on se retourne pour observer le spectacle d’un astre mourant. Sidéré. Subjugué, on se voit incapable de détourner le regard, comme une phalène attirée par la lumière mortelle.
Telle est la véritable force d’Outer Wilds : nous faire ressentir, à un niveau physique, la force de vie qui nous anime, l’immensité de l’espace et la course du temps. Alors que faire de ce précieux temps ?
Explorer. Partir à la découverte des merveilles de ce facétieux système solaire, et c’est là que Outer Wilds étale tout son savoir-faire vidéoludique. Il s’agit d’une aventure dépouillée de toutes features superflues nécrosant le media : marqueurs de quête, leveling, craft et j’en passe. C’est un monde ouvert qui n’impose aucune direction au joueur. Sa liberté est totale, et où qu’il aille, des indices nécessaires à la reconstitution d’un vaste puzzle l’attendront. Le level-design est d’une intelligence redoutable, dévoilant sous vos pieds un monde vivant qui n’a pas besoin de vous pour tourner. C’est-à-dire que votre présence n’est pas requise pour déclencher artificiellement un quelconque script relançant l’intérêt du jeu. Non, le monde suit son cours, évolue et ne vous attend pas. À vous de vous y frayer un chemin.
Évidemment, cette intelligence du level-design fonctionne de pair avec celle de la narration. Lançant le joueur sur les traces d’une antique civilisation ayant sillonnée l’espace des centaines de milliers d’années plus tôt, Outer Wilds distillera son histoire à travers un processus propre à ce media : la narration environnementale. Ainsi, chaque lieu sera source de nouvelles connaissances, et il est bien possible que ce soit en reconstituant l’histoire passée que vous comprendrez comment résoudre les problèmes présents. Enfin, à travers ce mystérieux puzzle, Outer Wilds se posera en excellente mise en abyme de son propos, poussant le joueur à tâtonner, expérimenter. Échouer. Et comme chacun sait, c’est par l’échec que l’on apprend.
Pour toutes ces raisons, faites Outer Wilds.
C’est un p’tit jeu sans prétention, mais un grand p’tit jeu. Un de ceux qui brillent par leur intelligence, leurs idées de game design, leur proposition artistique, et par leur capacité à surprendre et émouvoir. Mais ce qui fait la valeur d’Outer Wilds, c’est sa puissance évocatrice unique, sa faculté saisissante à provoquer, à faire sentir viscéralement le frisson de l’aventure face à une nature indomptable. Et pour ça, bravo.