Des années après tout le monde, j'ai ceint mes reins et glissé mes flèches dans leur carquois. Des années après tout le monde, j'ai parcouru des terres froides et inhospitalières en chantonnant l'hymne des Dovahkiin. Oui, j'ai joué à Skyrim... des années après tout le monde. Comme je fais d'habitude: je n'aime pas être pris dans la frénésie de la nouveauté. Sauf que cette fois-ci, ce n'était pas du tout voulu. En vérité, je ne comptais carrément pas jouer à Skyrim parce que je savais que je n'aimerais pas beaucoup. Comme le premier épisode d'Assassin's Creed et comme le dernier Tomb Raider, d'ailleurs. Mais ces trois jeux m'ont été prêtés par un cousin aux goûts un peu trop mainstream... Qu'avais-je donc à perdre ? A part mon temps, bien sûr.... Et j'en ai perdu beaucoup, nom d'une pipe en bois, diantre, foutraque !
Je m'étais déjà suffisamment renseigné sur la bête pour savoir que suivre la quête principale, aussi subtile qu'un blockbuster hollywoodien de ces dix dernières années, ne représenterait aucun intérêt pour moi. Dans un RPG, je suis une quête avant tout pour la qualité d'écriture. Or, je connais suffisamment bien la réputation des scénaristes à tiers temps de Bethesda, je passe donc mon tour, merci. Et puis, j'avais très envie de pouvoir me promener tranquillement sur la carte sans avoir à affronter l'un des très rares 12597 dragons qui semblent prendre le joueur pour cible toutes les demi-heures. Alors fuck la Pierre de Dragon à rapporter à je ne sais plus quel érudit (va falloir vous habituer, j'ai retenu aucun nom, les persos sont bien trop nazes) pour faire soudainement apparaitre tous les gros lézards sur la carte ! J'ai fait le premier donjon de la quête principale, histoire de me roder, j'ai récupéré cette maudite tablette et... je l'ai gardée dans mon sac à dos invisible jusqu'au terme de mon aventure ! Vu le poids de la chose, je n'aurais même jamais du m'en saisir. Une fois le méfait accompli, il est effectivement impossible de s'en séparer, objet de quête oblige. Et bien soit, je me la suis trimballée pendant près de 100 heures comme une bien misérable malédiction envoyée par le jeu pour me punir de m'en tamponner l'oreille avec une babouche, des dragons !
Plus que cette inepte malédiction qui pesait plusieurs kilos dans mon sac, cette Pierre était avant tout mon pied de nez à un jeu soi-disant totalement libertaire mais en vérité d'un dirigisme psychologique proprement effrayant ! Ouiii, tu peux aller où tu veux ! Ouiiii, tu peux être qui tu veux ! Ouiiii, tu peux faire ce que tu veux !
Non.
Tu ne peux qu'incarner un mercenaire élu par le Destin Tout Puissant pour poutrer la gueule de tout le monde. Mais vraiment de tout le monde. Tu peux difficilement faire plus de vingt pas sans te faire harceler par des connards incapables de dialoguer, des animaux apparemment tous infectés par la rage ou par des putain d'êtres humanoïdes fluorescents. Comment font les habitants de Skyrim pour voyager d'une ville à l'autre ? Je suis d'accord que c'est un RPG d'action et qu'il faut des ennemis, mais là, c'est à un rythme qui perd bien vite toute cohérence. Tu passes à côté d'une forteresse sans même faire mine de t'y diriger ? Tu te fais canarder par des flèches et des types sortent en hurlant pour te décapiter comme si tu étais leur principal ennemi sur Terre. Tu te promènes en forêt pour admirer le joli décor ? Tu te fais agresser par quelqu'un qui était planté là à ne rien faire et qui veut soudain te tuer sans le moindre mobile apparent (sauf quand c'est un voleur, ok). T'en as un peu marre de tout péter et tu suis la route principale pour rallier directement la ville la plus proche ? Tu te fais chopper par un ours ou un smilodon qui était confortablement installé sur la route et qui tue tous les voyageurs du coin. L'économie du pays doit tout de même en prendre un sacré coup... Surtout que ces ennemis animaux sont extrêmement forts et qu'ils ne quittent jamais la route tant que le joueur lui-même ne les a pas tués. Super cohérent, je vous dis. D'ailleurs, si vous vous amusez à suivre assez longtemps l'un des quelques voyageurs aléatoires qui parcourent les routes comme vous, vous remarquerez qu'il finit généralement par crever avant d'atteindre une ville. Charmant.
Heureusement qu'il y a des quêtes secondaires pour faire un peu autre chose que tuer. Ha ! Ha ! Ha ! Vous m'avez cru ? Je déconnais, bien sûr: 95 % d'entre elles consiste à aller buter quelqu'un ou à ramener un objet à un PNJ qui l'aura systématiquement perdu au fin fond d'un tombeau que personne d'autre ne serait assez con pour aller fouiller. Et des donjons linéaires avec des tas d'ennemis qui se ressemblent tous dans des décors qui se ressemblent tous, vous allez en bouffer !
Non merci. J'ai aimablement refusé cette surenchère d'action molle et répétitive (le gameplay n'a rien d'exaltant, ça reste de l'action-RPG basique) qui tente de cacher une qualité d'écriture abyssale. Dès le début, j'avais prévu le coup. Je m'étais demandé: comment tester les limites du jeu en contournant ce qu'il cherche à m'imposer bêtement ? J'aime bien faire ça: triturer les mécanismes, exploser la logique des développeurs, surtout quand elle est trop primitive. Je considère ça comme ma petite touche créative, ma quête de liberté jusqu'au coeur des rouages déterministes des jeux vidéo. Et Dieu sait si Skyrim en a besoin, de créativité.
Je m'étais donc inventé un personnage assez atypique de bibliothécaire-chasseur. Oui, vous avez bien lu, je pouvais difficilement faire plus tiré par les cheveux. Mon gars venait de Cyrodiil, capitale impériale où son père le destinait à une vie de juriste. En cette ère trouble qui suivait l'assassinat d'Uriel Septim VII, la corruption régnait et les exécutions sommaires n'étaient pas chose rare, ce que mon personnage ne pouvait plus supporter. C'est ainsi qu'après deux ans de vie insatisfaisante, il quitta tout et décida de refaire sa vie en passant la frontière sud de Bordeciel... pour se consacrer à sa passion des livres. Mon objectif: récupérer la plupart des bouquins du jeu, de façon légale, pour ensuite ouvrir une bibliothèque. Si ça c'est pas le bonheur... Pour survivre, quand même, un arc de chasse. Mon personnage étant un pacifiste convaincu, hors de question de tuer la moindre créature intelligente (hommes, elfes,...) même quand ma vie était menacée. Je venais, sans le savoir, de me fermer la porte d'une pelleté de quêtes qui se résumait à « va dégommer machin ». Tant mieux.
Les monstres, ça va, je gérais. Le plus ennuyeux c'est quand on me demandait de combattre quelqu'un qui n'était pas prévu dans une quête mais qui se ramenait juste pour faire chier. J'abandonnais alors, tout simplement. On joue rôleplay, où on ne joue pas. On m'avait vanté le fait que c'était possible dans les Elder Scroll mais franchement c'est extrêmement limite. Il est à peu près impossible d'apposer sa marque sur le monde qu'on traverse. Tous nos choix se résument à la manière dont on va s'y prendre pour buter la cible. Hache ? Epée ? Magie ? Je vous raconte pas la tension psychologique... A la limite, tu peux parfois esquiver (j'ai passé tout mon temps à augmenter cette foutue compétence pour qu'elle soit enfin efficace, d'ailleurs), mais la plupart du temps, c'est y aller à la bourrin ou renoncer. Et j'ai tellement renoncé que je pourrais presque rentrer dans un monastère...
J'ai quand même joué une centaine d'heures, mais c'était rarement super palpitant. En parcourant neuf ou dix donjons seulement, j'ai tué au moins une centaine de morts-vivants, l'ennemi principal du jeu. Marrant au début mais au secours le manque de variété. J'ai été chercher pas mal de trucs perdus au milieu de nulle part pour des gens que je ne connaissais pas. J'ai rendu beaucoup de services bidon. J'ai essayé de résoudre le maximum de quêtes de façon non-violente mais je peux vous dire que le jeu n'aime pas ça. Je me suis tellement infiltré, même quand les développeurs ne prévoyaient pas cette possibilité, que j'ai déclenché quelques jolis bugs. Le plus beau reste sans doute cette libération de prisonnier qu'on peut, exceptionnellement, accomplir de façon diplomatique... sauf que les développeurs ont « oublié » d'implanter les dialogues nécessaires dans le jeu, ce qui fait qu'il faut absolument en revenir au tranchage de tête ! Pathétique et affreusement révélateur du niveau de subtilité du soft (Romain R. me signale dans les commentaires qu'il y a en fait une possibilité de faire les choses diplomatiquement... mais ça reste extrêmement mal foutu !)... Le plus drôle, c'est que j'ai quand même réussi à infiltrer pacifiquement la prison en consommant toutes mes potions d'invisibilité, ce qui a rendu complètement maboule le prisonnier qui refusait dès lors de s'échapper. Pff...
Dans cet océan de banalité vidéoludique, il y a pourtant selon moi deux choses à sauver: le lore et les paysages. Le background est riche et complexe, à mille lieux du manichéisme primaire qui ressort pourtant généralement de nos objectifs. C'est qu'il faut se renseigner, et lire les innombrables livres du jeu pour comprendre l'ampleur du monde créé depuis Morrowind, premier véritable opus de la série d'un point de vue scénaristique. Certains dialogues, certaines situations vécues par le joueur font écho à ce superbe travail créatif. Mais la majeure partie du temps, c'est à travers la lecture in-game ( histoires courtes parfois géniales, extraits d'encyclopédies, journaux intimes, mythes religieux, etc.) que j'ai vécu mes moments les plus palpitants, et ça c'est grave ! D'où vient ce cancer du jeu vidéo qui consiste à concentrer tout le travail d'écriture sur des éléments qu'on ne peut pas vivre directement ? A quoi bon décrire un monde si riche si c'est pour me demander d'aller trouver un tambour magique au fin fond d'une grotte gardée par des morts-vivants (oui, cette quête à la con existe vraiment) ? Aujourd'hui, les jeux aux meilleurs backgrounds sont souvent ceux aux plus mauvais scénarios, et ce Skyrim est à ce titre en tête du classement. C'est d'une tristesse absolue...
Enfin, il faut avouer que parcourir le monde de Bordeciel est assez agréable, entre cinquante combats mous. Les décors ont véritablement une patte, ce petit quelque chose capable de me faire rêver. Certaines villes sont très réussies, à l'instar de Markarth, la cité fondée par les Nains dans un passé lointain, qui fut mon véritable coup de coeur de Skyrim. Les NPC sont aussi assez nombreux et ont tous leur petite histoire qui, même si elle ne vole pas bien haut, a le mérite de donner un peu de vie à ce triste musée.
Voilà, le mot est lâché: à travers ses réussites artistiques graphiques et son solide background, Skyrim se pose comme l'empereur de tous les jeux-musées. Vous savez, ces jeux remplis de choses intéressantes, mais des choses mortes, des choses avec lesquelles vous ne pouvez pas interagir, ce qui est quand même le comble pour un jeu vidéo ! J'ai parcouru un fantôme de jeu, une expérience totalement anti-immersive malgré tous mes efforts pour me la jouer rôleplay (en plus de ce que j'ai déjà raconté, j'avais supprimé toutes les indications, jauges et boussole de mon écran). De toute façon, les développeurs ne voulaient pas vous immerger dans leur monde. Quand vous savez que la carte est majoritairement composée de grands espaces glacials que vous pouvez parcourir nus sans le moindre danger de crever de froid, vous avez compris où se nichaient les ambitions de Bethesda: dans la baston pure et simple. Bon, ok. J'ai suffisamment lutté contre le courant pour comprendre que c'était en vain. A chacun de voir ce qu'il attend d'un jeu vidéo, après tout, et plus spécialement d'un jeu qui se prétend « de rôles »... Moi, je retourne sur Fallout New Vegas, les gars !