Le diagnostic de Tomb Raider
Il y a deux semaines j’ai reçu en consultation le patient Tomb Raider.
Mon premier réflexe fut de lui demander comment il allait depuis 1996, mais il m’a répondu que je le confondais avec un de ses ancêtres qui portait le même nom que lui.
Il m’expliqua alors qu’il était un reboot, et qu’il souffrait d’une ambivalence qui lui posait soucis dans sa vie de tous les jours.
Les jours passant j’appris à le connaître et pu mesurer la nature de son trouble.
Tomb Raider se présente donc naturellement comme l’héritier d’une famille qu’on ne présente plus. Cette famille s’est illustrée par le passé par sa dimension mystique, explorant mythes et légendes, plongeant l’aventure dans des lieux oubliés dans la peau d’une exploratrice solitaire nommée Lara Croft.
Le patient présente d’abord fièrement et calmement sa dimension exploratoire, nouant un lien fort avec ses origines. Ses niveaux, mêmes les plus couloirs, recèlent d’items à récupérer, cachés çà et là, demandant de chercher le moindre petit chemin secondaire, la moindre plateforme sur laquelle sauter pour dénicher tout ce qu’il y a à dénicher ! La description des items renforce l’intérêt à les trouver, donnant une vraie plus-value archéologique à leur découverte !
Le level design est donc particulièrement ingénieux, notamment dans ses zones hub, que le joueur peut soit esquiver pour passer à la suite, soit arpenter pour l’explorer. S’il choisit cette option, un vaste terrain de jeu s’offre à lui qu’il peut explorer à sa guise. Ici, différents endroits cachés. Là, différentes zones à escalader. Le plaisir est total et immédiat, et le joueur explorateur peut passer des heures à exulter son plaisir !
Il présente même quelques tombeaux : des énigmes simples mais intelligentes, laissant encore une fois briller la force du level design.
Et si le plaisir est tel, c’est que l’ambiance est également au rendez-vous. L’île a une forte personnalité, les lieux traversés sont parfois uniques dans la série, les décors sont splendides, et l’unité de temps (cycle jour/nuit, météorologie) participe à un plaisir constant de découverte et de redécouverte. Les lieux sont variés, et on s’y sent seul…
Seul ? Ah ah ah… Ca y est, le patient se tient la tête, il a l’air de souffrir. Le trouble s’installe, ce n’est plus le même ! Vite appelez, quelq… trop tard. Il a changé, il est différent.
Le patient maintenant rigole très fort, crie très fort, et présente à grand coup de tape sur l’épaule son côté explosif. « Nan nan, Joueur – me dit-il – Tu ne veux pas que te balader, et explorer ? Non ça c’est pour les gamins, non ce que tu veux c’est de l’action hein ? Tu veux des ennemis partout c'est ça hein ?!! ». Un frisson me parcoure l’échine. Des gunfights nombreuses, du feu, des explosions, des QTE, des scripts, des armes, du feu, encore du feu et encore des explosions. Voilà ce que le jeu me présente à présent.
Mais après tout, sa famille présentait aussi des affrontements. Et après tout, par moment, on a bien envie que le rythme décolle, c’est vrai ? C’est vrai, on aime l’action, surtout quand elle est bien faite !
Le problème finalement, c’est qu’ici le patient affirme bien ses inspirations des jeux de son époque. Ici, l’action si elle peut en effet être bien faite, a dans certains passages la stupidité des films de Michael Bay. « Faisons tout exploser ! – crie-t-il, comme cela, sans raison ». Et faisons tout exploser, trop trop, bien trop souvent, jusqu’à l’écoeurement, et parfois de manière gratuite, n’apportant rien à l’expérience.
« Encore ?! » s’exclame-t-on, encore la même scène d’explosion, de glissade, n’a-t-il pas d’inspiration ? A-t-il oublié de faire un tri ?
Et les gunfights, si elles ont été améliorées depuis les derniers nés de la famille, n’ont pas le même dynamisme qu’ont les Uncharted. Il faut toutefois reconnaître que le feeling est plutôt nerveux et brutal, et que c’est appréciable, sympathique tout du moins. On apprécie finalement les gunfights lorsqu’on y est libre de se déplacer rapidement, de se cacher, de grimper dans des environnements plus ouvert, de profiter d’un level design propre à un affrontement fun. Mais cela n’arrive qu’à de rares moments, le patient privilégiant les gunfights dans des endroits fermés, moins funs.
Soudain, le patient redevient docile. Il me rappelle que je peux me la jouer infiltration, et que le level design a souvent été prévu pour. En effet, il est vrai, et c’est même plutôt cool. « Pas toujours » me crie alors le patient lorsqu’il redevient L’Autre.
Dans tout ce méli-mélo je ne sais plus où me mettre, ni comment comprendre mon patient. Je me penche alors sur le scénario, ayant un vrai intérêt légendaire, et ayant le courage d’être un peu violent. Mais de l’autre côté, il fourmille de clichés, d’incohérences, de personnages secondaires sans intérêts.
Je me penche alors sur son aspect survival, découvrant alors qu’il ne sert que dans le scénario, mais que finalement il est totalement absent du game design.
Je me penche alors sur la direction artistique, jouissant d’un travail approfondi, donnant une vraie vie aux décors rencontrées, une identité, un côté un peu malsain… mais découvre que le même cadavre accroché est repris à de nombreuses reprises dans le jeu, détruisant le malaise, ne le rendant pas viscéral mais faisant de lui une tapisserie (ce petit point n’est qu’une toute petite critique, évidemment on n’attendait pas Silent Hill 3).
Le patient me redonne encore des passages d’explorations très appréciables, mais me détruit tout en me mettant tous les indices sur ma carte sans possibilité de les désactiver, me forçant à être dirigé.
Je pleure un peu.
Je me penche sur mon diagnostic. Le patient semble souffrir d’un trouble dissociatif de l’identité (à différencier de la schizophrénie, ce n'est pas la même chose). Ne sachant pas vraiment sur quel pied danser, il met un peu de tout. Distillant certains éléments brillamment, et balançant d’autres trucs sans retenu, sans finesse, pour tout faire exploser.
Et dans tout ce méli-mélo je ne sais plus où me mettre. J’ai le cul entre deux chaises. J’aime plutôt le boum-boum, j’aime beaucoup plus l’exploration, ce mélange étrange me satisfait mais ne peut m’empêcher d’être déçu, de facepalmer quand le boum-boum est stupide, et il l’est à plusieurs reprises.
Mon patient a un trouble identitaire, et je dois faire avec.