Si tous les Visual Novels (VN) ne peuvent bénéficier d'un succès mainstream (parfois en dépit de leur excellence), en voici-ci un qui mériterait certainement davantage de reconnaissance. Surtout lorsque l'on constate le large succès populaire dont a pu bénéficier Doki Doki Literature Club! (DDLC), gratuit sur Steam. Je reviendrai d'ailleurs plus longuement sur cette fréquente comparaison à la fin de cette critique.
Ecrit et réalisé par Shimokura Vio, connu pour son travail sur le célèbre Steins;Gate, et produit par le même studio (Nitroplus), YOU and ME and HER: A Love Story (Totono de son surnom) faisait partie de ces VN dont la traduction était longuement attendue par de nombreux fans. Notamment depuis la diffusion sur Youtube, en 2014, de l’une de ses scènes les plus emblématiques, ayant par là-même suscité des centaines de milliers de vues (ce qui est énorme pour ce genre de jeux), et des attentes considérables.
Afin de présenter Totono, il me paraît important de rappeler que chaque média, qu’il s’agisse par exemple d’un livre ou d’un film, dispose de ses propres spécificités. Certaines permettent parfois de créer des œuvres qui ne sauraient être transposées dans un autre support, rendant toute adaptation difficile, voire impossible. Le VN ne déroge pas à la règle, et plus que jamais, celui dont nous parlons dans cette critique offre une expérience unique.
S’il fait pleinement usage des possibilités conférées par son format, telles que la pluralité de routes et l’interactivité du joueur, il propose surtout un exercice de style encore trop rare dans le monde du VN. Quant à son concept principal, s’il n’est peut-être pas nouveau, il est probablement le seul à l’avoir autant développé, et exploité de manière aussi habile. Ainsi Totono transforme-t-il peu à peu une banale histoire de triangle amoureux en commentaire sur les jeux de romance, et en métafiction impliquant fortement le joueur.
En effet, l’une de ses principales qualités est incontestablement de nous entraîner dans une aventure assez intime et très personnelle, le jeu allant jusqu’à rendre l’utilisation de guides impossible. J'ai même été impressionné, et parfois touché, par le soin du détail dont l’auteur a su faire preuve afin d’accroître l’immersion, et de prendre en considération les efforts ou les choix que le joueur a pu faire dans la dernière partie.
De prime abord, Totono s’adresse donc aux personnes familières avec le support qu’est le VN, et vise (entre autres) à susciter certains questionnements chez le joueur habitué. A la base, il cible également un public masculin (hétérosexuel). Néanmoins, il ne fait aucun doute que n’importe qui peut véritablement apprécier cette œuvre, a fortiori chez celles et ceux capables de pleinement s’investir dans une fiction, de s’attacher à des personnages bien que virtuels, ou de se prendre au jeu.
Sans aucun doute, cette œuvre témoigne du potentiel extraordinaire qu’est le VN en tant que média, afin de proposer des récits et expériences inaccessibles dans d’autres formats. Y compris parmi les VN, elle propose un exercice relativement novateur. Rien que pour cette tentative, quand bien même la considérerait-on ratée (ce qui n'est pas le cas), je pense qu’elle mérite toute notre considération.
Elle n’est pas non plus sans générer d’ultimes interrogations sur les potentialités artistiques qu’offriront les technologies de demain : avec le développement de l’IA et de la réalité virtuelle, je n’ose imaginer ce qu’il sera possible d’accomplir lorsque l’on voit ce que ce VN parvient à proposer (en sachant qu’il n’est pas non plus exempt de défauts, et qu’il pourrait être encore plus optimisé, bien que cela demanderait probablement un temps de développement et d’écriture déraisonnable).
Sur le plan technique, la présentation est soignée, et digne d’une production de 2013 par un grand studio. Là où le jeu se distingue particulièrement, c’est au niveau du doublage, avec une mention spéciale pour Nabatame Hitomi qui prête à sa voix à Miyuki, et qui délivre une superbe prestation (pour les connaisseurs, c’est également elle qui double Kazusa Touma dans White Album II, et qui figure au casting principal de nombreux "Kamige" comme Dies Irae ou Baldr Sky Dive). Quant au charadesign et au dessin, ils sont assurés par Tsuji Santa. Ce nom ne vous dira probablement rien, mais c’est lui qui a créé Super Sonico (mascotte de Nitroplus), ce qui vous parlera peut-être davantage. Il signe ici des CG d’une grande justesse, et restitue parfaitement l’expressivité des personnages.
Enfin, comme évoqué précédemment, je me permets de revenir brièvement sur cette "parenté" entre Totono et DDLC. En effet, si vous connaissez le second, sachez que le premier dont nous parlons ici lui est infiniment supérieur. Il semble difficile de croire que DDLC ne s’en est aucunement inspiré, et quand bien même, la qualité d’exécution et le degré de développement ne sont pas comparables (ce qui est normal vu que l’un est un jeu professionnel, et l’autre un jeu amateur). De plus, en dépit des comparaisons qui ont pu être établies sur ces similitudes, il s’agit de deux jeux qui restent bien différents.
Quoi qu’il en soit, si vous avez apprécié DDLC et la route de Monika (ou les idées qui y sont mises en œuvre), vous trouverez certainement votre bonheur en Totono !