Comment construit-on un jeu vidéo ? Ou plutôt, quels sont les ingrédients d’un bon jeu vidéo ?
Là, en principe, il y a toute sorte de voyants qui s’allument dans votre esprit. « Ludisme », intelligence du game-design et du level-design. « Challenge », résistance du jeu, progression du joueur. « Aventure », expériences narratives et/ou contemplatives. « Innovation », nouvelles technologies, nouvelles idées… Ou peut-être un peu de tout ça à la fois.
Eh bien, mes amis, quand Ubisoft conçoit un jeu, aucun de ces voyants ne s’allume. Assassin’s Creed Origins est l’exemple d’une nouvelle recette de conception, dont l’unique ingrédient s’inscrit en lettres de feu sur leur cahier des charges : le « circuit de la récompense. »
Triple A… Gage de qualité ?
Il est toujours délicat de critiquer un triple A sans être vexant. Ces jeux sont énormément joués et plébiscités par la presse et le public et, partant de ce constat, on a envie de penser qu’ils méritent leur réputation.
Sauf que ce n’est pas le cas. Assassin’s Creed Origins est un jeu pauvre et sans ambition. De ces étiquettes citées en début de critique, il n’y en a pas une dans laquelle il peut prétendre exceller, et son appréciation générale est pour moi un grand paradoxe.
Premièrement, ACO ne nous raconte vraiment pas grand-chose. À aucun moment il n’envisage d’impliquer le joueur dans une aventure grisante et mémorable. La faute à un scénario presque inexistant, tout juste prétexte à justifier le voyage entre les différentes cités d’Égypte, et une écriture déplorable, dialogues comme narration — mention spéciale au boss final qui sort littéralement de nulle part. Le jeu met en scène Bayek, un protecteur du peuple dont le désir de vengeance prend racine dans un passé extrêmement cliché. On s’identifiera peu à ce héros sans substance, et on ne s’attachera pas davantage aux personnages secondaires, pas plus développés. Enfin, malgré un contexte politique prometteur, ACO prend soin de nous garder à distance des intrigues qui auraient pu relever le niveau, il ne faudrait surtout pas complexifier le propos…
Bref, en termes de narration, on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Malheureusement, ACO plante aussi lamentablement sur le volet ludique. C’est un jeu mal conçu. Pour progresser dans l’histoire, il faut progresser en niveaux. Et le seul moyen d’y parvenir, c’est de gagner de l’xp via des quêtes secondaires inintéressantes. Précisions d’emblée qu’étant globalement toutes les mêmes — récupérer un item ou nettoyer un camp de soldats, — le jeu est d’une lourde répétitivité. Avec ça, vous avez compris le game design de ACO : courir après l’xp afin d’avoir le niveau requis pour la quête principale. C’est un jeu de grind, ni plus ni moins.
Il ne vous faudra pas plus de quelques heures pour identifier les faiblesses d’écriture et de game design du jeu. Et puisqu’ils feront de piètres motivations pour progresser, vous déciderez rapidement de vous rabattre sur l’exploration. Quoi de mieux qu’un open world pour partir à la découverte du monde ? Vous vous voyez déjà fouler le sable des déserts d’Égypte, « Vive la liberté ! » vous dites-vous ! Ahah… tant d’insouciance. Vous souhaitiez visiter les grandes pyramides de Gizet ? L’oasis du Fayoum ? Eh ben vous pouvez pas ! Parce que vous n’avez pas le niveau pour vous rendre dans cette zone. En découpant l’immense carte de l’Égypte en une multitude de régions de différents niveaux, Ubi s’assure de bien baliser le terrain et crée l’open world dirigiste. Chapeau l’artiste. Le problème ? Vous pouvez mettre de côté vos rêves d’exploration et suivre le sentier gentiment tracé pour vous. En gros, vous irez voir les pyramides quand le jeu décidera que vous pourrez y aller. Reste donc à vous rabattre sur le farm d’xp et à vous conformer à l’exécrable design du jeu, dont voici le schéma : arriver dans une nouvelle région, la nettoyer de ses quêtes secondaires pour grind, poursuivre la principale quand vous avez le niveau requis, puis changer de région et rebelote. Voilà.
Triple A… pour Assistanat ?
Alors la question se pose : si ACO fait preuve de telles lacunes, comment s’y prend-il pour faire tant d’adeptes ?
En fait, ACO parvient à utiliser sa répétitivité pour hypnotiser le joueur, s’assurant de sa motivation constante en le faisant entrer dans une routine non frustrante. La clé de cette motivation : la récompense en xp, en items, le leveling et la complétion. Puisque vous n’entreprendrez rien par plaisir de la découverte ni par intérêt pour l’histoire, Ubi stimule vos comportements pavloviens et agite devant vous toute sorte de carottes pour vous faire oublier le manque de profondeur de son jeu.
Évidemment, il est primordial d’éliminer toute frustration puisqu’il ne faudrait surtout pas briser ce cycle de récompense savamment entretenu. ACO est donc un jeu d’assisté. Vous devez vous rendre à un lieu, une quête ? Appuyez sur une touche et votre monture y va toute seule. Grimper en haut de la falaise ? Maintenez une autre touche jusqu’à ce que Bayek parvienne au sommet. Améliorer votre équipement ? Pareil : un input, et hop ! c’est réglé. Et si vous n’avez pas tous les matériaux, recyclez la mitraille d’équipements useless que vous trouverez un peu partout. Nettoyer un camp de soldats ? Envoyez votre aigle en éclaireur et pouf ! tous les ennemis sont en surbrillance — oui, les aigles voient à travers les murs, c’est bien connu.
Bref, vous n’avez rien à faire ! Dans ACO, vous êtes un commandant de bord en pilote automatique, semi-actif pour s’assurer que vous ne déviez pas trop de la trajectoire initiale. Vous progressez machinalement, sans résistance, sans surprise. Et surtout, SURTOUT, sans réflexion !
Même constat pour le gameplay dont on vante le renouvellement pour oublier qu’il est simpliste et guère intéressant. Vous jouerez à la fin du jeu comme vous jouiez les premières heures. Les affrontements ne connaissent pas d’évolution, peu d’approches différentes, l’IA est complètement débilos. ACO est un jeu pauvre qui se veut jubilatoire pour masquer ses défauts. Parce qu’autant Ubi ne s’est pas trop foulé sur le gameplay, autant ils ont mis le paquet sur tous les effets graphiques et sonores englobant la progression. Ça nous envoie des ralentis à tire-larigot, des coups critiques tape-à-l’œil, des bonus d’xp en veux-tu en voilà, un véritable festival au moindre gain de niveau. Devise : « Le game feel avant le gameplay. »
Voilà ce que j’ai ressenti. Assassin’s Creed — à tout le moins, cet épisode — c’est un peu le Marvel du jeu vidéo. C’est mauvais, sans ambition, mais ça ne demande aucun effort, aucun investissement. C’est facile, satisfaisant, tapageur. Un pur générateur de dopamine que tu vas lancer en fin de journée et qui va t’aspirer le cerveau quelques heures.
Que reste-t-il ?
Si Ubisoft souhaitait créer un jeu profond et ambitieux avec cet Assassin’s Creed Origins, il faut se rendre à l’évidence : ils manquent, soit de savoir-faire, soit de volonté. Heureusement, la firme peut compter sur un département artistique solide. La seule chose qu’on ne peut pas retirer au jeu, c’est bien la splendide reconstitution de l’Égypte gréco-romaine. Et même si ce n’est pas techniquement impeccable, il faut admettre qu’on se balade dans des lieux franchement dépaysants.
Malheureusement, on réalise bien vite que ce sable, ces palmiers, ces monuments géants et campagnes plus modestes ne forment qu’un décor interchangeable. C’est incroyablement beau, mais ça n’a pas vraiment d’âme. On pourrait changer d’univers, de civilisation, que ça n’altèrerait pas tellement la physionomie du jeu. En cause : le lore franchement secondaire. On nous parle de Dieux, de société cosmopolite — Égyptiens, Grecs, Romains — mais dans les faits, on est rarement confronté aux rites et habitudes de l’époque, aux dissensions qui pourraient naître de toutes ces cultures entre-mêlées. Dynastie Ptolémaïque, fonctionnement des grandes cités, pharaons, etc. Il y a énormément de matière ; mais non, on n’apprend ni ne découvre grand-chose en cours de voyage. L’univers n’est pas exploité, et on se demande finalement à quoi sert tout ce décor.
Ah, si ! Vous pouvez prendre en photo les splendides panoramas du jeu. Voilà ! amusez-vous…
Heureusement, on peut remercier le petit génie chez Ubi qui est à l’initiative du Discovery Tour — ce musée virtuel utilisant l’open world modélisé par les développeurs, — celui qui a réalisé que toutes les recherches effectuées pour la reconstitution de l’Égypte n’étaient pas implantées dans ACO alors que ça aurait été pas mal d’en faire profiter les joueurs. Alors, on pourra discuter des vertus pédagogiques du Discovery Tour et de sa lenteur peu attractive, mais le mode reste appréciable, et étonnamment, presque plus immersif. Il concentre en réalité tout ce qui est absent du jeu et aurait pu lui donner de la profondeur s’il avait eu une quelconque ambition narrative.
En somme, j’aurais bien du mal à vous conseiller ACO, mais si c’est seulement la perspective de parcourir l’Égypte de l’ère hellénistique qui vous botte, le Discovery Tour pourrait constituer une bonne alternative à moindre coût.
Conclusion
Assassin’s Creed Origins ne m’aura pas réconcilié avec les Triple A. C’est un jeu sans audace, à l’écriture pauvre et au design foireux, qui compte davantage sur son game feel et son assistanat permanent pour endormir le joueur dans une routine satisfaisante.
Si certains y trouveront sans doute leur compte, les joueurs plus exigeants, ou en recherche d’expériences un peu plus profondes, seront vite confrontés aux limites du jeu. On m’a vendu un The Witcher III like, mais prenons garde tout de même aux comparaisons hâtives, car s’il y a effectivement une ressemblance sur le papier, ACO n’arrive pas à la cheville de celui qui l’a inspiré. Disons plutôt qu’Assassin’s Creed Origins est à The Witcher ce que Bayek est à Geralt de Riv : une version inconsistante et sans envergure.