Cette critique ne contiendra aucun spoiler visible, bien qu'Internet étant définitivement débile, absolument tous les articles traitant de près ou de loin de ce jeu ont déjà spoilé son élément final...
Plein d'effroi
Edité par Arte - premier kamoulox de ce titre - et sorti en 2016, Californium rejoint la longue liste des Walking simulator et autres expériences narratives, se démarquant par sa direction artistique colorée très sixties et son propos de fond, puisqu'il nous met dans la peau d'un écrivain souffrant de page blanche et de quelques menues addictions. Lorsque nous "joueur" (et c'est un grand mot) prenons son contrôle, il est en train d'écrire un paragraphe cryptique, visiblement plus destiné à éponger sa dernière dose qu'à démarrer une œuvre capitale.
Conçu en vue à la première personne, ce qui frappe dans ce "Californium" c'est sa direction artistique : qu'on aime ou pas, on ne peut pas nier qu'elle a sa personnalité, une identité et une atmosphère qui captivent et qui intriguent. Tout en rondeurs et en couleurs, elle dessine pourtant des mondes angoissants, en perdition, rongés par la perte identitaire et le cynisme des personnages que l'on croise, designés - et ça n'a rien d'un hasard - comme des silhouettes de carton en deux dimensions. Au passage, je pense que le jeu prend toute sa profondeur avec un casque VR, auquel il est à mon avis beaucoup plus destiné qu'un écran classique.
Autre chose qui frappe : l'intelligence du game design. Alors qu'on soit clairs : ce que le jeu attend de nous n'a rien de très compliqué et le gameplay est très basique - normal on est dans un walking simulator, l'intérêt majeur n'est pas la partie interactive- mais c'est agréable un jeu qui parvient à expliquer à son utilisateur ce qu'il attend par le son, la lumière et le décor sans jamais afficher le moindre gros message de tutoriel bien lourdingue. Ici pas de HUD, pas de tuto, pas d'aide, rien, l'épuration absolue. Le monde dans lequel vous évoluez va se charger de vous guider, parfois en vous prenant la caméra si vous êtes un peu neuneu (je suis très vexé de constater que je le suis mais voilà qui devrait vous rassurer sur le QI nécessaire pour jouer à Californium).
Bref la prise en main se fait bien, agréablement dans des décors et une atmosphère réussis, pour nous raconter le parcours mental de cet écrivain en perte de repères, quitte à déchirer mentalement les couches de son espace temps pour l'élargir à d'autres mondes. Et c'est au joueur de l'emmener au bout de cette expérience.
La drogue, l'utopie et Mars
Concernant l'écriture - ce pour quoi on est peu venus, surtout vu le thème de départ - elle peut sembler un peu pompeuse (rappelons que ce jeu a été financé par Arte et on va dire que ça se voit) mais tout à fait dans le ton, puisqu'on parle ici de science-fiction des années 60-70, dans son versant philosophique et plus intellectuel que pulp. Comme pour le design, ça peut ne pas être au goût de tout le monde, mais on ne pourra pas dire que ça n'a pas été soigné. Le jeu est par ailleurs intégralement doublé en français (normal, Arte...) et très bien doublé. Et quoiqu'un peu cryptique, le jeu reste plutôt clair sur ses intentions narratives et on voit assez vite se dessiner le fil rouge du récit et la logique qui anime le passage d'un monde à l'autre, jusqu'à la révélation finale, pas vraiment surprenante quand on prend le temps d'y réfléchir, mais agréable à découvrir par soi-même (n'est-ce pas, internet ?).
La musique, un peu dissonante au début, cède le pas à des accords plus proches d'un synthé, posée, légèrement planante et se mariant très bien avec le côté "rêve éveillé" d'un auteur qui fait le tour de ce que son imagination est capable de lui donner.
Globalement, Californium a bénéficié d'une DA, d'un design et d'une écriture soignés. On pourrait donc se dire qu'il est le roi des walking simulator mais... il y a un mais. Des mais, en fait.
Page blanche et gros cafard
Je n'aime pas juger un jeu sur sa durée de vie ou son prix, parce que les deux son subjectifs et que mettre une valeur chiffrée est un peu une impasse pour un critique. Mais autant prévenir tout de suite : outre le fait qu'elle est peu interactive, l'expérience de Californium est très courte, comptez moins de trois heures, à moins de galérer un peu sur la recherche d'isotopes.
Si le récit est intéressant, ce qu'il propose en terme d'interactivité est vraiment hyper basique, de l'ordre de la recherche d'objets, avec une petite dimension légèrement plus "capter la singularité" en phase avec son thème mais qui demeure... ben de la recherche d'objets. Oui, les walking simulator sont souvent basiques dans leurs mécaniques, oui, on est venu pour une histoire et une expérience et non ce n'est pas rédhibitoire. Mais... vu le soin apporté au reste et le thème de fond, il n'y avait plus original à jouer ? J'ai personnellement beaucoup aimé l'idée de faire taper au joueur, au début de chaque chapitre, un paragraphe introductif à la machine en se mettant à la place de l'écrivain. Et c'était plus dans cette direction qu'il aurait fallu se tourner.
En outre, moins de trois heures pour traiter d'un sujet aussi riche, c'est un peu bref : on se rapproche beaucoup plus d'une sorte d'expérience proposée à la cité des sciences dans une thématique consacrée à la SF qu'un jeu à proprement parler. Un peu léger.
Mais surtout - et là je vais sortir la salière - le jeu souffre de bugs. Et pour un logiciel aussi simple, c'est absolument inadmissible. Et quand je dis bug, celui-ci m'a forcé à refaire intégralement un chapitre deux fois, avec à chaque fois les mêmes actions pour enfin débloquer le dialogue qui enclenchait la suite du scénario. Tester un jeu aussi court et basique au niveau du code ne paraît pourtant pas nécessiter des dizaines de bêta testeur ou des centaines d'euros. On gueule sur les gros jeux qui sortent bourrés de bugs mais que dire quand un soft qui tient presque du film narratif se permet de faire pareil ? Au passage, ledit bug a failli me priver de la fin du jeu, d'où ce paragraphe un tantinet énervé.
D'ailleurs la fin, parlons-en (attention : spoiler)
Sa vie son oeuvre
Bon, vu que si vous vous êtes intéressé à Californium, les articles vous l'ont déjà spoilé (merci internet...) : le jeu traite en fait de la mort de Philippe K. Dick et tout le jeu est un hommage à son œuvre. Les fans le comprendront sans doute dès le premier chapitre, étant un peu moins renseigné sur le monsieur, je me suis simplement laissé porter, sans tomber de surprise de ma chaise à la fin. Parce que même si pas renseigné, ayant déjà lu du K.Dick, il est plutôt simple de retrouver ses thèmes de prédilection.
C'est une façon plutôt sympa d'introduire l'univers de l'auteur, mais qui paraît d'autant plus légère qu'il y avait sûrement encore BEAUCOUP de choses à dire et faire dans un média interactif. Californium reste une chouette expérience, que je ne recommande toutefois qu'aux amateurs de jeu narratifs. Il se boucle vite, pour un dimanche après-midi où on a simplement envie de s'évader. Et ça remplit cette fonction, avec talent mais sans suffisamment d'ambition. Un peu dommage.