A tower to heaven

Chants of Sennaar vous mets dans la peau d'un nouvel arrivant au sein d'une tour-cité, ayant pour but apparent d'en voir le sommet. La barrière de la langue sera votre principal obstacle, car aucun des dialectes parlé par les populations locales ne vous sera connu au début de l'aventure. Mais grâce à votre carnet et votre capacité bien pratique à comprendre les dialogues directement comme la langue écrite, vous aurez tous les outils pour devenir le plus grand des polyglottes du coin.

Sur ses fondations, Chants of Sennaar ressemble à s'y méprendre à l'excellent Heaven's Vault, qui mettait aussi l'exercice de traduction au centre de son jeu. La formule d'exploration et d’énigmes pour trouver de nouveaux mots y est similaire, tout comme le mini-jeu de traduction. Si le titre s'en sort tout à fait honorablement, il n'a pas la profondeur d'Heaven's Vault, ce qui m'a un peu déçu. C'est selon moi dû à la multiplication des dialectes, qui n'ont par conséquent pas le temps de gagner en profondeur, et aux solutions qui reposent un peu trop sur des indices immédiats et des aides très généreuses (surtout les illustrations qui accompagnent chaque emplacement de mot permettant de corriger vos trouvailles). Votre capacité à déduire le dialecte très riche d'Heaven's Vault (une run ne suffit pas à le déchiffrer en entier) venait beaucoup du contexte, immédiat et plus large, de vos connaissances précédemment acquises et aussi, et surtout, de votre compréhension grandissante de la langue elle-même, en repérant les motifs communs, les marques de ponctuation ou encore la proximité de forme et d'usage. Il y a un peu de tout ça ici, mais de manière plus simplifiée. Aux derniers chapitres surtout, on s'intéresse plus tellement aux langues et j'ai plutôt eu tendance à lorgner directement sur les traductions que je récoltais un peu systématiquement, si bien que lors des challenges finaux, des traductions brutes entre différents dialectes, je regardais à peine des hérioglyphes que je n'avais pas vraiment intégré pour simplement fouiller le dictionnaire de traduction à la recherche du bon mot. Après, avoir de multiple langues à déchiffrer permet quand même quelques trucs sympas, comme des règles grammaticales légèrement différentes, et on peut voir que chaque dialecte reflète, dans son style et un peu dans son vocabulaire (la limite des échantillons empêche une véritable comparaison), le peuple qui le parle. Et s'il n'a donc pas la profondeur que j'avais espérée, il reste un jeu malin et prenant, que ce soit un trouvant le sens d'un hiéroglyphe ou en résolvant les quelques énigmes indépendantes du jeu. Surtout, le titre parvient quand même plutôt bien à capturer la satisfaction d'une compréhension grandissante d'une langue qui nous paraissait complètement étrangère une heure auparavant. C'était là le principal objectif du jeu, et c'est une réussite.

Votre exploration est aussi rendue très agréable par la direction artistique du titre, toujours magnifique. Elle m'a rappelé Moebius et Monument Valley, et c'est toujours un plaisir de découvrir chaque nouveau décor et personnage, souvent accompagnés d'un habillage sonore lui aussi très réussi. J'exprimerais une petite réserve sur la dernière zone, que je trouve un peu trop décalée par rapport au reste, mais le tout force quand même l'admiration. Avec le gameplay centrée autour de la découverte, explorer chaque nouvelle région est un plaisir renouvelé.

Le scénario reste quant à lui assez sommaire. Jusqu'au boutiste dans sa démarche, le jeu ne dispose d'aucun dialogue parlé et toute la narration se fait via les dialectes créés pour le jeu. Pour l'histoire, cela signifie qu'il ne peut pas y avoir de phrases, et donc de concepts, bien compliqués. Je ne pense pas que cela pose problème, la découverte des différents peuples et les relations qu'ils entretiennent (parfois à travers le langage) fut suffisante pour maintenir l'intérêt, même si c'est bien le charme de la direction artistique qui reste le principal attrait en dehors des énigmes.

A cause de sa version moins travaillée d'un concept déjà exploré ailleurs, Chants of Sennaar manque pour moi de peu l'excellence. Il reste un jeu magnifique et très prenant. Et si cette critique ressemble un peu trop à une recommandation pour Heaven's Vault (jouez-y), il faut admettre que Chants of Sennaar est un titre bien plus accessible pour pas mal de raisons, et ses atouts en font un jeu qui mérite largement votre intérêt.