Il est toujours irritant de s'entendre dire que "Resident Evil" est le précurseur du survival horror...tout d'abord parce que nonobstant la qualité des premiers opus, la licence est clairement orientée action et ensuite parce qu'elle a été précédée à minima par deux jeux : Alone in the Dark en 1992 et ce "Clock Tower" en 1995.
Le moins qu'on puisse dire en prenant en main Jennifer, l'héroïne, c'est que l'interface est des plus simples : vous avez un curseur qui peut parcourir l'écran (au clavier/à la manette, autant dire qu'on a à peine la sensation de ramer dans la semoule) et change de forme lorsqu'il passe sur quelque chose ou quelqu'un avec lequel vous pouvez interagir.
Et ?
Et c'est tout mon coco. Ni armes, ni défenses, ni jauge de vie (ou à peine représentée par la couleur du portrait de Jennifer qui peut passer par trois stades, indiquant son état de panique), ni bouton pour courir ou attaquer. Tu la sens, la survie, là ? Et ne vous leurrez pas : si vous commencez le jeu "à poil", votre inventaire ne s'étoffera d'aucun moyen pour vous défendre.
Au bout de quelques minutes de jeu, vous allez être confronté à votre principal adversaire : le scissorman, sorte de gamin bossu dégénéré armé d'une cisaille géante, que vous rencontrez alors qu'il vient d'assassiner sauvagement une de vos amies. Il ne vous reste plus qu'à...courir.
Tout le principe de "Clock Tower" réside dans ce verbe en fait : si jamais vous êtes repéré(e) par l'ennemi, il ne vous lâchera plus, à moins de trouver une cachette adéquate, sachant que toutes ne fonctionnent pas (ce sale môme peut même vous avoir en passant par le plafond, je l'ai personnellement constaté). Scissorman, c'est la fusion réussie entre un conseiller Pôle-Emploi et un spam, il est extrêmement difficile de s'en débarrasser et cela ne sera que temporaire, jusqu'à la prochaine rencontre. Lorsque ce dernier attaque Jennifer, la seule option est d'appuyer à répétition sur le bouton de "panique" afin de le repousser et de reprendre votre course (si votre vie n'est pas au minimum et si vous tabassez suffisamment ledit bouton).
En-dehors de ces périodes de "cache-cache", Jennifer devra enquêter dans le manoir pour en trouver la sortie, glanant des indices et des objets afin de se frayer un passage dans la demeure, qui prend relativement vite des allures de musée des horreurs. Car le scissorman n'est pas le seul danger, certaines pièces sont piégées : insectes, poupées tueuses, cannibale...et vous n'aurez pas toujours l'option de la fuite, sans avoir davantage celle de vous défendre, faut pas déconner. Voilà pour le gameplay, on peut difficilement faire plus sobre.
Côté ambiance, là encore, Human entertainment a opté pour la sobriété, d'une efficacité redoutable : vous n'entendrez aucune musique, juste le son de vos pas, le grincement des portes...le seul morceau audible durant tout le jeu est le thème musical du Scissorman qui vous indique qu'il est à vos trousses. Aussi longtemps que la musique retentit, vous êtes dans la mouise, pour faire court. Et les périodes de silence, avec ce bruit de pas qui résonne, ne détend pas plus. Et puis alors, vous pouvez vous brosser pour les continues : il n'y a aucune sauvegarde possible (dans la version SNES du moins), si vous mourrez, il ne vous reste plus qu'à recommencer. Le jeu n'est pas d'une difficulté délirante pour autant, lorsqu'on commence à connaître les emplacements "sûrs" et ceux "à risque", on prend vite le pli.
La mise en scène et les cachettes du Scissorman comme ses apparitions empruntent directement aux films d'horreur, notamment "Suspiria" ou "Phenomena", autrement dit des références visuelles plutôt impressionnantes, ce qui parachève le remarquable travail d'ambiance effectué sur "Clock Tower".
Côté durée de vie, sachant que nous sommes sur Super Nes, on peut dire qu'Human entertainment a bien pensé son jeu : il comporte six fins et surtout les pièces du manoir sont réparties aléatoirement au début de chaque partie, inutile donc d'espérer refaire le parcours tranquilou les doigts dans le nez, puisque les lieux auront complètement changé, même remarque pour les petits malins qui s'enquiquineraient à dessiner une carte. Soit, les combinaisons ne sont pas infinies mais suffisamment riches pour vous obliger à errer, la trouille au ventre de tomber sur Scissorman ou toute autre saloperie mutante rôdant derrière les portes.
"Clock Tower" prouve s'il est encore nécessaire de le faire qu'il est inutile d'utiliser beaucoup d'effets ou de fioritures pour insuffler la peur : en nous faisant incarner l'archétype de la jeune fille fragile aux possibilités limitées, en nous privant d'armes et des repères habituels des jeux vidéos du genre, en nous contraignant à une maniabilité lente (le curseur au clavier/à la manette va vous faire pleurer) et en réduisant l'atmosphère musicale au minimum, Human entertainment parvient à totalement nous immerger dans le jeu et à nous coller de vrais pics de stress. Buter du zombie au lance-missile, c'est rigolo, courir, déraper, chuter, au hasard d'une maison dont les lieux changent aléatoirement avec un taré à cisaille aux fesses, ça fout les jetons. Même avec des graphismes vieux de vingt ans.
Un grand jeu, malheureusement assez peu connu en-dehors du Japon puisqu'il n'est jamais sorti en Europe et sabordé par ses suites, toutes plus médiocres les unes que les autres (si on fait exception de "Demento", suite officieuse de qualité honorable). Humain Entertainment ayant disparu depuis un moment et Capcom ayant repris la licence avec un talent plus que discutable, il est probable que le premier opus est et restera le seul jeu marquant. Dommage.
NB : Pour ceux et celles souhaitant s'y essayer, on trouve assez facilement le jeu SNES en émulation dans une version traduite en français. La traduction est moyenne mais largement suffisante pour bénéficier de l'ambiance du jeu.
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