Consolons nous de l’abandon de Bernie Sanders aux primaires démocrates en imaginant les tribulations d’un candidat démocrate-mais-vraiment-de-gauche nouvellement élu à la tête des USA, voilà en somme ce que propose le fort sobrement titré Democratic Socialism Simulator. Cette curiosité est le premier jeu commercial signé Molleindustria, le studio de Paolo Pedercini, déjà réalisateur de nombreux jeux gratuits dont l’intéressant mais limité Every Day the Same Dream. Situé au centre d’un diagramme de Venn de mes intérêts comprenant “la gauche”, “les simulations gouvernementales” et “les jeux qui rentrent dans mon budget”, voilà un titre auquel je ne pouvais pas échapper.


Si j’ai toujours été intrigué par ce genre de niche qu’est le political simulator, je ne me suis pourtant adonné qu’à la vitrine la plus saillante du genre, à savoir Democracy 3, un jeu outrageusement imparfait sur lequel j’ai pourtant passé un nombre d’heures inavouable. De manière générale, les rares simulations gouvernementales disponibles semblent peiner à véritablement se placer à la hauteur de leurs ambitions, freinées par des systèmes de jeu peu stimulants et un manque de finition funeste.


Suivant une approche radicalement opposée, la geste derrière **Democratic Socialism Simulato**r est intelligemment limitée dans son étendue, privilégiant la “big picture” au détriment de toute forme de gestion microéconomique. L’interface, en effet, est d’une simplicité confondante : le jeu, comme son nom l’indique, vous propose d’incarner un proto-Bernie Sanders nouvellement élu à la tête des USA et des propositions de politiques vous sont soumises une par une par vos conseillers. Soit vous les acceptez en les faisant glisser vers la droite, soit vous les jetez à la poubelle en les faisant glisser vers la gauche (n’y voyez pas d’ironie mal placée). De vos choix dépendent l’état de trois jauges on ne peut plus vagues : le budget, le “pouvoir du peuple” et l’empreinte carbone, l’idéal étant de maximiser les deux premières et minimiser la troisième au terme de vos années au pouvoir. Attention cependant, car chaque décision aura ses conséquences immédiates; pour ne citer que celle-ci, une taxe sur les gains du capital pourra faire fuir les riches et dans ce cas, adieu les recettes fiscales supplémentaires.


Bâtir un political simulator entier en reprenant l’interface de Tinder, l’idée est saugrenue et pourtant les mécaniques de cause-conséquence qui se cachent derrière sont moins hypocrites que celles d’une machine à gaz à la Democracy 3. Chaque partie (idéalement, deux mandats présidentiels) est courte (disons 20 grosses minutes si vous n’êtes pas trop indécis) mais chaque partie appelle la suivante (“j’aurais p’têt gagné si j’avais nationalisé Google !”), d’autant que les propositions faites peuvent changer significativement d’une partie à l’autre.
En outre, n’oubliez pas que vous incarnez un président et non un autocrate : certaines décisions ne peuvent être prises qu’en cas de forte majorité au Congrès, congrès dont la composition dépendra des élections de mi-mandat, élections dont les résultats dépendent de la satisfaction de l’électorat.


Car il faut bien les satisfaire, ces électeurs, et ils ne sont pas tous acquis à votre cause, loin de là ! Le jeu contraint ainsi le président-joueur à faire preuve d’un certain pragmatisme et à ménager la chèvre et le chou : certes, vous pourrez soumettre au congrès la nationalisation d’Amazon et l’annulation d’une partie de la dette étudiante, mais si vous creusez trop le déficit et punissez à tour de bras les milliardaires, vous pouvez faire une croix sur votre second mandat. D’autant que vous pouvez compter sur les interférences extérieures pour pourrir vos quatre années à la Maison Blanche : scandales sexuels, lobbyistes insistants ou encore frondeurs au sein de votre majorité, tous les suspects usuels sont présents ! Selon vos choix, vous pourrez, au choix, perdre les élections, être contraint à la démission voire carrément dégagé du pouvoir par vos administrés, faut croire qu’on ne badine pas avec la démocratie.


Malgré tout, si jouer avec la mécanique de cause-conséquence est amusant, disons une heure (le temps de faire deux ou trois parties complètes), l’intérêt, fatalement, s’estompe bien vite. La simulation est simpliste et la binarité des choix, celle là même qui dans un premier temps pousse à achever une partie de Democratic Socialism Simulator, en est évidemment la principale limite. Notamment, le fait que les propositions qui nous sont soumises tombent aléatoirement influe énormément sur l’issue de votre mandat : certes, la réussite d’un gouvernement dépend en grande partie de sa chance, mais il faut avouer que d’un point de vue purement ludique, c’est assez désastreux.


Ce simulacre de simulation est plutôt un prétexte à une réflexion light sur le jeu politique américain plutôt qu’un jeu à message un brin lourdingue comme le Every Day The Same Dream susmentionné. C’est finalement en tant que visual novel que Democratic Socialism Simulator révèle son intérêt : jamais le titre ne se prend au sérieux, et son absolue faiblesse ludique est compensée par une écriture réjouissante. Que ce soient les conseillers régaliens très droitiers qui jouent de toutes les circonvolutions possibles pour vous faire valider des budgets surgonflés, la tiédeur et l’inquiétude constante de l’establishment démocrate, les gourous de la Silicon Valley qui cherchent à financer leurs fantaisies ou encore les gros titres incendiaires du New Pork Times et de Jackalin (vous aurez reconnu le New York Times et le magazine de gauche critique Jacobin), le ton est constamment léger et enjoué, à mille lieues de l’austérité inhérente au genre.


L’habillage n’est pas en reste, avec ses conseillers-animaux immédiatement identifiables tandis que l’impayable Internationale lo-fi en guise de fond sonore parachève de faire de Democratic Socialism Simulator un trésor de causticité. Pari réussi : le visual novel potache met à l’amende n’importe quelle simulation soi-disant sérieuse.

Orbulon
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le 15 avr. 2020

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