Je préviens les puristes comme les curieux, vous n'allez pas lire ici la moindre donnée technique, la moindre critique construite ni la moindre considération pour le système de jeu. Je m'en excuse sans la moindre sincérité car tout ce qui va suivre ne va être que le prétexte à l'évocation d'un moment de ma vie que certains ont peut-être déjà pu vivre. La technique cédera donc la place à l'évocation, la rigueur à la nostalgie et la critique à la passion.
Peu importe si ce jeu n'est qu'une localisation de Puyo Puyo, à l'époque je ne connaissais le jeu d'origine que de nom sans faire le moindre lien avec celui-ci.
Ce classique n'a été pour moi qu'une découverte tardive, et même pas sur Megadrive mais sur le puissant PC d'un ami, en, oui, émulation !
Cette période m'avait vu délaisser ma console de coeur pour beaucoup plus de jeux PC, de travail aussi et de tout un tas d'activités plus sociales que ludiques. Pourtant, au détour de conversations, je découvrais donc que cet ami et collègue était bardé d'émulateurs et de roms. Nous enchaînons les séances nostalgiques, sur Streets of Rage 1&2, Golden Axe 1&2, mais aussi Contra, Metal Slug, Garou, beaucoup de Windjammers (j'en parlerai un jour)... Jusqu'à Dr Robotnik's Mean Bean Machine !
D'abord timides et souriantes, nos compétitions se sont montrées de plus en plus acharnées à mesure que nous nous améliorions chacun dans notre style de jeu, lui violent, nerveux et agressif, moi patient, toujours proche de la brèche mais calme jusqu'au déchaînement d'un plan quinquennal savamment mûri. Chacune des techniques se valait, et chacun d'entre nous parvenait à d'éclatantes victoires à l'héroïsme triomphant aussi bien qu'à des défaites humiliantes sous les quolibets du vainqueur.
Plusieurs jours de suite revint la question habituelle à la fin de journée de travail, tard le soir : "Tu fais quoi ce soir ?" à laquelle la réponse était toujours la même : "Ce soir, je fais comme tous les soirs... je fais tourner des haricots !"
Et la compétition reprenait, parfois jusqu'au petit matin, souvent en fait. Vers 5h nous émergions, les yeux rougis d'avoir fixé l'écran, du bon café salvadorien dans les veines, hébétés par le combat acharné qui s'était livré. Puis, tels des gentlemen duellistes, nous nous saluions cordialement avant la prochaine bataille.
Petit à petit, nous avions fait des émules. Il y eut d'abord quelques spectateurs, devenus peu à peu de nouveaux combattants... Nous les massacrions allègrement, forts de notre entraînement intensif. Certains hurlaient de colère, d'autres frémissaient devant ma technique toujours très risquée de l'accumulation jusqu'à ce que s'enchaîne une série menant à une "patate de la mort" ponctuée d'un "Yeeeehaa" funeste ! Oh comme l'air était chargé de frustration et saturé de jubilation ! Comme nos compagnons nous admiraient en nous haïssant tout autant ! Nos étions glorieux, nous étions jeunes, nous étions les meilleurs tourneurs de haricots que la Terre ait porté !
Hélas, la vie n'est pas faite que de bonhommes gélatineux aux yeux ébahis et nos chemins prirent des directions différentes. Les batailles s'espacèrent dans le temps et petit à petit les haricots cessèrent de tourner. Le mode solo n'avait qu'un intérêt limité, trouver de nouveaux adversaires devenait difficile tant nous avions acquis un niveau surhumain (peut-être que j'exagère ?) et aucun ne résistait bien longtemps, encore moins qu'il ne tint autant d'heures à élaborer des techniques dévastatrices, découragé par l'expertise du vétéran.
Alors j'ai moi même délaissé les haricots, remisé la rom dans son dossier entre Double Dragon 5 et Dracula, oublié la glace qui courait dans mes veines aux moments les plus critiques.
La vie vous fait faire des rencontres improbables et magnifiques, vous offre des déceptions dont l'impact n'est même pas aussi fort que vous l'auriez imaginé et vous les considérez avec une sorte de regret blasé, elle vous conduit à des aller-retours imprévus. Alors que je suis désormais muni de ma version physique et légale du jeu, alors que je découvre les joies de Romstation je me plais à rêver de nouvelles batailles épiques, de nouvelles tactiques hasardeuses sur le long terme.
Il va me falloir un peu d'entrainement je crois, car le vétéran que je suis s'est un peu rouillé et je dois avouer être tombé de mon socle de granite en prenant coup sur coup ce qui, dans le langage technique du tournage de haricots, s'appelle une dérouillée !