Le point n'click n'est pas mort, malgré la fermeture de ses deux studios phares, il est "simplement" devenu un genre plutôt développé par des indépendants, puisque destiné à un public de niche (du moins par rapport à un jeu d'action). Ce qui permet donc pas mal de tentatives originales, le genre pouvant être "habillé" par des univers très variés. Dropsy est une de ces tentatives.
Pour passer immédiatement sur un aspect désagréable, oui le héros est un clown, sans bras, sans dents, aussi rassurant qu'un pennywise de SEGPA, oui. Et en tant que coulrophobe au dernier degré, je n'ai eu aucun problème pour jouer, car Dropsy n'est pas un clown psychopathe, le jeu n'est pas un jeu d'horreur - au contraire. On attend de vous que vous y fassiez des câlins (non, ce n'est pas non plus un jeu de boules, non).
Dropsy - si son nom n'est jamais clairement énoncé, on suppose que le jeu est éponyme - est accusé d'avoir fait flamber le cirque dans lequel il travaille, tuant au passage plusieurs personnes. Il est donc détesté par l'ensemble de la population, qui le trouve repoussant, en prime et le rejette en bloc. Il va donc falloir faire en sorte d'apporter le sourire à chaque personnage du jeu en trouvant ce qui pourrait le rendre heureux. Chaque mini-quête réussie est validée par un câlin que l'on peut faire à tout ce qu'on croise, y compris aux objets (L'un des premiers truc à câliner est un frigo, pour vous donner une idée). Le but ici est donc de... faire votre job de clown, en amenant la joie autour de vous. Et dieu sait qu'il y a du boulot car si l'univers de Dropsy - tout en pixel art - est pastel, coloré et mignon, il se dégage de cet univers une profonde mélancolie, doublée d'une critique - très en surface - des travers de nos sociétés (religion hypocrite, hyper consommation, inégalité et contestation sociale...). Dropsy est un personnage un peu benêt, qui ne recherche que le bonheur de ses concitoyens et compense son apparence repoussante par beaucoup de tendresse. Le jeu est donc tout mignon, tout en contraste doux-amer.
La principale originalité de gameplay est de ne contenir aucun dialogue ni texte, tout d'abord, et d'être une sorte d'open-world, brisant par là-même deux règles jusque là relativement immuables du genre (beaucoup de dialogues pour donner des indices au joueur et limitation des zones visitables afin de lui éviter d'inutiles aller-retours) : les "dialogues" se font par petits dessins dans les bulles au-dessus des personnages et les menus ne comportent que des icônes et symboles. Un parti-pris certes original mais qui n'est pas sans poser problème, je vais y revenir. La carte du monde - relativement grande - est au début limitée par des énigmes, lesquelles débloquent au fur et à mesure l'accès aux différentes zones, sans pour autant en verrouiller d'autres. Dropsy n'est pas le seul personnage jouable, un chien, une souris et un poussin le rejoignant au fil de l'aventure, chacun avec des capacités propres (creuser, voler...).Tout se fait à la souris, dont le curseur change de forme en passant sur un objet ou un personnage interactif, une barre d'actions/personnages située en haut de l'écran permettant d'avoir accès à toutes les fonctions du soft. Simple, facile à prendre en main, sur ce plan-là, Dropsy reste classique.
Mais alors me direz-vous, si c'est mignon, original et réussi au niveau du gameplay, est-on en face d'un bon point'n click sortant des sentiers battus (et rebattus) par les monkey island et consort ? Hé bien... non. Parce que Dropsy est un semi échec, selon moi, la faute à un énorme décalage entre ses intentions et sa réalisation.
Tout d'abord je n'ai pas parlé des graphismes : si j'aime le pixel art - beaucoup même - et que celui de Dropsy est plutôt joli, oubliez le grand écran et jouez en fenêtre si vous ne voulez pas que ces jolis pixel art se transforment en bouillie rappelant les plus belles heures du MS-DOS (et si vous ne savez pas ce qu'est MS-DOS, jouez en PETITE fenêtre ou vous allez morfler). La compression n'est pas vraiment top et tout ça manque de finesse.
Le son est dégueulasse. Je sais et j'ai compris que le côté "son mono" était intentionnel pour donner au jeu un côté un peu "old school", personnellement, il m'a juste donné un côté "Otite" mais chacun ses goûts. Du reste, la BO est toute en légèreté, parfaitement raccord avec le visuel. Mais moi le truc samplé au magnétophone windows, je ne suis vraiment, vraiment pas fan, même si je saisis l'intention derrière.
Enfin, le jeu souffre de quelques bugs lors des passages où les personnages jouables doivent se séparer, bugs plutôt majeurs dans la mesure où l'un d'eux a rendu ma sauvegarde inutilisable (pour faire court, je n'avais plus qu'un seul personnage accessible, les autres avaient purement et simplement disparu).
Et nous arrivons au principal point noir de ce Dropsy, qui forme en fait un tout : sa difficulté. Comprenez bien que je ne cracherai pas sur un jeu difficile, j'ai souffert sur les deux discworld et les jeux Sierra comme king's quest, qui sont les purgatoires des point'n click en matière de difficulté. Non, si je pointe du doigt la difficulté de Dropsy, c'est que le jeu n'est pas difficile pour les bonnes raisons : il est difficile parce qu'il n'est pas clair dans ce qu'il demande. Car limiter les dialogues à deux-trois icônes par personnage rend les indices on ne peut plus nébuleux, quand lesdits icônes ne sont pas tout simplement incompréhensibles (voire masqués par le haut de l'écran, encore mieux). Et il est irritant de se retrouver dans une situation ou on n'avance pas, non pas parce qu'on n'a pas la solution à l'énigme mais parce qu'on ne sait même pas quelle est l'énigme.
L'absence de dialogues pose un autre gros problème : le scénario du jeu est simpliste. Par simpliste, je ne veux pas dire bateau et manichéen, non, je veux dire par là qu'on est sur une histoire qui pourrait être proposé dans un livre pour petit enfant. Il n'y a aucun mépris de ma part ici, il y a de très jolis livres pour enfants et si Dropsy en était un , il serait clairement dans le haut du panier : mignon, coloré, assez critique malgré tout avec le monde des adultes, encourageant le partage... Et si Dropsy était un jeu d'éveil pour tout petit, il serait certainement excellent. Mais plusieurs aspects de son univers(quelques scènes assez cauchemardesques) et sa difficulté montrent clairement qu'il est destiné à un public adulte, tout d'abord, mais surtout à un public adulte habitué des point'n click, puisqu'il "casse" les règles habituelles et que sans les maîtriser, il est très difficile je pense de saisir la logique du jeu et ce qu'il attend de nous. Et à votre avis, que donne un jeu d'aventure de 5-6 heures basé sur une histoire pour tout petit ? Hé bien même en ayant l'esprit ouvert et tout en trouvant tout ça adorable, on s'ennuie très vite. Je ne dis pas ça à cause de son visuel uniquement mais bien de sa trame narrative et de son concept de base tel qu'il est exploité.
Comme le jeu n'est pas clair, la progression est laborieuse et peu valorisante, le côté "open-world" rallonge les allers et venus pénibles (même si l'on finit par obtenir un moyen de transport) et soyons réalistes, on se sent assez peu impliqués dans la quête de Dropsy qui, si elle est louable, manque beaucoup d'enjeux : on résout assez peu de réels problèmes graves, en fait, et même lorsque c'est le cas, l'ambiance naïve du soft les dédramatise beaucoup. Qui plus est, bien que l'univers visuel soit très riche, on ne peut inteargir quasiment avec rien, ce qui fait d'une bonne partie des écrans de simples décors figés (par exemple, au tout début du jeu, on croise dans une forêt un arbre débordant de livres. On ne peut absolument pas interagir avec, malgré la bizarrerie plutôt poétique de la chose.). Décors dans lesquels en prime il va falloir passer x fois, à la recherche d'indices.
Je peux me tromper mais j'ai le sentiment que le créateur de "Dropsy" a réellement voulu briser le système et le gameplay mis en place par les jeux Lucasart en supprimant dialogues, zones limitées, scénario élaborés, humour noir, etc...
Seulement si LucasArt a mis en place ces règles au départ, ce n'était pas uniquement un parti-pris artistique : c'est parce qu'elles servaient le gameplay. À l'époque, Ron Gilbert (le créateur de Monkey Island) avait réalisé un papier listant tous les écueils à éviter lorsqu'on programme un jeu d'aventure/point n'click, papier qui avait plus ou moins servi de référence à son équipe pour travailler. Que le créateur de Dropsy ait décidé de faire fi de ces bases pour créer autre chose, qu'il ait eu envie d'un univers plus naïf, qu'il ait voulu se montrer original est à mettre à son crédit mais ne fait pas pour autant de son jeu un bon point'n click. Cela m'attriste car j'ai vraiment pas envie de casser à ce pauvre Dropsy les dents qui lui restent, d'autant qu'il se dégage du jeu une tendresse qui fait réellement du bien mais pour moi le jeu s'est trompé de cible. S'il avait été un point n'click pour plus jeune avec une difficulté adaptée(et quelques menues révisions niveau personnage et scénario quand même), je l'aurais clairement recommandé aux futurs parents. Et j'aurais probablement adoré y jouer... à 6-7 ans. Mais j'en ai 31 et avec toute ma capacité à redevenir un grand gosse, je ne peut pas considérer "Dropsy" comme un jeu réussi. Mais un semi-échec restant une semi-réussite, je suis tout de même curieux de voir ce que son équipe pourrait produire. Une fois qu'elle aura décidé si elle souhaite s'adresser aux enfants ou aux adultes, voire, encore mieux, aux deux.