Alerte: Article de fond sur le rôle du level design au sein d'un jeu. Il utilisera Duke Nukem 3D pour illustrer son propos. J'ai longuement hésité à utiliser DooM II, qui, selon moi, est le mètre-étalon.
I/-Choix d'illustration
Wolfenstein 3D est un de mes premiers jeux PC (avec le solitaire et le démineur) c'était windows 3.11, (mais en fait c'était DoS parceque windows, c'est pas EX!). Très peu de pick-ups différents; 4 armes, munition standard pour toutes les armes, et objets de scoring en tout genre. Les 3 premières armes sont pensées comme des power-ups "couteau < pistolet < mitraillette" mais une agréable pointe de raffinement sur la dernière: "la gatling". Elle coute beaucoup de munitions, ce qui ne la place pas vraiment comme strictement supérieure à la mitraillette dans l'absolu. C'est l'ancêtre archaïque du "BFG" (le surnom donné à toutes power weapons de Doom Like).
Wolfenstein est constitué de niveaux plus ou moins labyrinthique, et les pick-ups sont placés de façon assez primaire dans ces derniers; pour ne pas dire risible par moment. On se souviendra d'énormes salles tapissées de pick-up de score (quelle finesse...). On ne peut pas dire que son level design soit élégant ainsi contextualisé au sein de l'oeuvre.
DooM (ID Software 1993) améliore la formule grandement (d'où le nom "DooM Like"), les niveaux sont globalement mieux construit et notamment le placement des pick-up dans ces derniers (item placement). J'insiste grandement sur la diversité et qualité des pick-ups dans DooM. On a un gros set d'arme, plus ou moins effectif sur tel ou tel type de monstre, ou tel ou tel type de combat et les munitions ne sont plus standards et presque chaque arme dispose d'une munition différente.
A la notion de dégâts, vient s'ajouter la notion de "pain chance". Ce sont des hitstuns aléatoires qui freinent le déplacement des victimes (et chaque ennemi à sa propre vulnérabilité à la "douleur"). La gatling fait de très faible dégâts comparé au pompe, mais sa cadence de tir combinée au taux de "pain chance" la rende diantrement efficace contre les ennemis qui ne génèrent de la menace qu'au Corps à Corps (Pimky). Cette mécanique permet donc de contextualiser l'efficacité d'une arme de manière nettement plus élégante que Wolfenstein. Le level design a donc dorénavant un sens globale. Chaque zone est composée de risque (combat) et de reward (pick-ups).
Rappel: Le processus intellectuel naturel de tout joueur est de de minimiser les risques et de maximiser les gains. Le jeu vidéo peut ajouter des enjeux narratifs pour affiner cette donnée, mais ni Wolfenstein, ni Doom, ni Duke Nukem 3D n'en font vraiment usage.
Dans un jeu comme DooM, le level design est au coeur de cette stratégie. Par où passer, quel chemin prendre pour récupérer les pick-ups jugés utiles, nécessaires, et affronter la horde jugée "risque acceptable" (le tout se nuançant par le niveau de maîtrise du joueur: débutant vs expérimentés). Les Clés qui verrouillent les différentes zones de certains stages vont elles aussi, bien évidemment, être intégrées dans la stratégie globale du joueur.
Quand on fait un petit bilan de tout ça, on se rend compte que le level design ne prend son sens que si le secteur économique du jeu (pick-up et/ou temps) est lui aussi pensé de manière synergique au sein du gameplay.
C'est en ce sens que DooM 2 est le mètre-étalon et je ne vais pas argumenter 20 ans là dessus. Mettez DooM2 en route, et vous comprendrez très vite mon argument. Tous les niveaux sont superbement pensés que ce soit dans leur structure ou dans la place des pick-up/combats: aucun déchet (contrairement à DooM). Je conseille à n'importe quel game designer d'étudier DooM 2. Peu importe le type de jeu qu'il veut créer. DooM 2, c'est pas de la culture, c'est du savoir faire, c'est 'l'évolution' du jeu vidéo (comme dans X Men Gros!) au même titre que Mario par exemple.
J'ai choisi DN3D pour illustration malgré tout, car avec le jet pack (in the air!), le masque et tubas (into the pool!), bé... héhé: Masterpiece quoi! Le chemin ne se pense plus en 2 dimensions mais 3. Le nombre de "types" de pick-ups est augmenté. Entre les "à consommer sur place" ou "à emporter." Les pipe grenade à déclencher manuellement, et les mines à détection de mouvement. Last but not least: Les hidden zones à foison.
En toute honnêteté; si DooM II est considéré par nombre de gens comme "DooM 1.5" (ce qui n'est pas nécessairement malhonnête intellectuellement parlant), alors DN3D, c'est lui le vrai "DooM2"! ^^ Il est intéressant de noter que DN3D aura le droit à une upgrade de toute beauté, comme Doom l'eût en son temps: Plutonium Pack, le meilleur set de mission, ne tombant pas dans les travers de certaines updates suivantes (labyrinthique sans raison profonde).
II/-Développement
J'entends très souvent dire, dans de nombreux tests de jeu vidéo en tout genre "oui le level design, c'est un couloir!". Comme si c'était un défaut intrinsèque au medium vidéoludique. Prenons un jeu comme Gears of War (2006), ou Streets of Rage 2 (1992). Des jeux linéaires, au level design "corridor". Regardons la place de l'économie, en l'occurrence du pick-up, au sein de ces jeux. Très vite, on se rendra compte que les pick-ups n'ont pas la même place que dans un "DooM Like". Dans ces deux jeux, notre personnage n'a pas la possibilité de porter grand chose sur lui (Ce qui réduit drastiquement le rôle de la stratégie dans le jeu).
Les équipements sont en surnombre dans GeoW. Nous ne tomberons jamais en rade de munitions dans GeoW1, même si nous visons très mal (les munitions respawns dans de nombreux lieux!), et on nous offre toujours l'arme dont on a besoin juste avant un combat spécifique. Cerise sur le gâteau, notre barre de vie se régénère toute seule, ce qui éradique la notion même de pick-ups de soin. Ce choix de game design désengage le joueur de tout choix stratégique globale concernant l'économie.
Revenons sur SoR2, les pick-ups sont pensés de la même manière (choix stratégique gommé). Nous ne pouvons pas garder notre équipement de stage en stage (couteau, katana, etc), et les objets de soin font partie du difficulty scaling pure. J'explicite. Les premiers stages sont courts, et sont blindés de soin. Ils sont tous sur notre passage bien en évidence. Les derniers stages sont longs et les pick-ups de soin sont rares mais toujours bien en évidence. Le soin n'est pas une récompense, mais un du. C'est une aide de jeu.
Les deux jeux (GeoW/SoR2), bien que fondamentalement différent dans leur genre et dans l'utilisation de leur environnement (cover dans GeoW vs collison map plane dans SoR2), partage un trait philosophique fort. Le désengagement du joueur de tout choix stratégique, pour le concentrer sur la tactique. Cela en fait-il un mauvais jeu, ou plus exactement cela en fait-il un mauvais level-design ? Non, ça en fait un level design cohérent vis-à-vis de l'économie du jeu (le pick-up, la gestion d'inventaire, et l'item placement dans le cas présent) et par rapport au battle design (enemy placement, IA, moveset enemy). C'est ce que j'appelle personnellement: un choix de game design, un choix de métagame.
Tout plat qui se concentre massivement sur le sucre (tactique / SoR2) ou sur le sel (stratégique / Civilisation) est strictement inférieur aux plats sucrés salés? (stratégie&tactique / DooM)
Conclusion
Je veux pas dire mais entre Wolfenstein (1992) et Streets of Rage 2 (1992), il y en a un des deux qui est un putain de classique avec son level design de Jean Michel (un petit coup d'oeil au TOP BTA de senscritique?), et l'autre qui est un shooter plutôt pauvre malgré son level design "de ouf malade" (un petit coup d'oeil au TOP FPS de senscritique?). Voilà pourquoi ça m'énerve quand je vois la presse vidéo ludique payé pour tester et vendre des jeux, balancer le très célèbre.
"oui c'est un level design couloir (donc ça pue)"
comme ça paf, sans aucune contextualisation. Ca fait vraiment branquignole.