Un légende perdue

Ma maman, peu fortunée, n'a jamais ridiculisée mon attrait pour les jeux vidéos, et est allée jusqu'à saigner sa bourse pour m'offrir une GameBoy, dont j'étais viscéralement amoureux. Pour une raison aujourd'hui définitivement oubliée, je voulais absolument jouer à Final Fantasy Legend. Un screenshot publié dans l'encart console de Joystick, peut-être.

Pourtant, du haut de mes neufs ans, je mandatais officiellement ma grande soeur de mettre la main sur cette cartouche, gage unique que l'anniversaire de mes dix ans serait réussi. Je vous coupe les détails, l'opération prit des mois et près de 350 francs avant qu'elle ne déniche la perle immaculée, quelque part entre Saint Ambroise et Oberkampf.

Pour une autre raison qui m'échappe aujourd'hui, je n'avais pas ma console avec moi. Si bien, que lorsque le jeu me fut offert, je ne pus immédiatement en profiter. J'étais en CM2 et mes fantasmes, aussi innocents soient-ils, étaient sans limites. Je prenais la cartouche avec moi à l'école. Planquée dans ma trousse, je la calais pour en faire une petite guitoune de fortune. Toujours à portée de vue. Je bullais et fabulais à son sujet.

Janvier 1991, il neigeait. Je rentrais chez moi après l'école, et réalisais avec panique que ma cartouche n'était plus dans ma trousse. Désespéré, j'envoyais valdinguer tous les actifs qu'un enfant de dix ans peut posséder, sans succès. Refusant de croire qu'on me l'eût chapardé, je décidais de retracer mes pas, de l'école à chez moi, dans l'espoir qu'elle puisse se trouver quelque part, dans le dehors glacial et enneigé de ce mois de janvier.

Je retraçais alors mon parcours de l'école jusqu'à la maison, de façon obsessionnelle. Balayait la neige, où ce qu'il en restait, convaincu que mon précieux était juste là, enseveli, n'attendant que d'être secouru. Contre toute attente, au matin du troisième jour, et la neige fondue aidant, je mis la main sur cette cartouche. Je la pris dans ma main, incrédule d'avoir eu raison d'insister. Une bonne partie de sa coque plastique était endommagée, un trou béant m'indiquant clairement qu'elle elle ne fonctionnerait jamais. Ni dans ma Gameboy, ni dans celle d'un autre.

Je ne peux raisonnablement décrire mes émotions de ce jour : une victoire presque, d'avoir retrouvé ma cartouche, dans la rue et à moitié ensevelie. Ce fut ce jour la révélation qu'une inextinguible détermination, contre vents, marées et neiges, peut payer. Ce fut tout autant un jour de tristesse, Final Fantasy Legend, ce jeu pour lequel j'aurais infantilement sacrifié père et mère, était dans ma main, inaccessible et rongé par les éléments.

C'est un secret. Personne n'en sut jamais rien. Je me gardais bien de raconter que j'avais mis ma pauvre mère et ma soeur sur les rotules pour un tel désastre. J'en garde toutefois un souvenir qui m'a marqué bien plus que beaucoup d'autres jeux.

10/10 pour les souvenirs. Avec l'envie d'y jouer.