Grand Theft Auto 4 fait partie de cette catégorie de jeux devant lesquels le sens critique des testeurs part se réfugier dans leurs chaussettes. On l'a tellement attendu qu'il devient un must-have avant même qu'on y ait joué, comme le sera plus tard Red Dead Redemption, et aussi probablement L.A. Noire. Seulement, avec Rockstar, le talent fulgurant va de paire avec une médiocrité difficilement explicable.
Un univers saisissant
Chose certaine, on a envie de parcourir Liberty City, la New York miniature, on a hâte de découvrir les îles encore interdites. Chaque quartier diffère d'un autre, autant au niveau de l'agencement, de l'architecture, que des passants dans la rue. On ne se sent pas du tout de la même façon à Bohan, le quartier noir, misérable, étouffant et sale, qu'à Algonquin, avec ses larges artères interminables et immaculées, ses yuppies de la classe bourgeoise blanche et ses grattes-ciel, ou encore le quartier du début du jeu (dont j'ai oublié le nom), plus banlieusard et ordinaire, peuplé d'immigrants asiatiques et russes qui tiennent boutique, jusqu'à la zone industrielle infestée par les motards.
Les différents personnages du jeu, avant qu'ils n'ouvrent la bouche, avant qu'ils ne posent leur gestuelle souvent caricaturale, sont bien campés, ils collent à leur fonction, leur statut, leur genre. Leur modélisation est exceptionnelle pour un open-world (elle le sera plus encore dans les extensions). Visuellement, et c'est le vrai point fort de Rockstar (d'ailleurs le seul), on y croit, on est littéralement dedans. Peu importe que la circulation manque encore de densité, que le frame-rate tombe dès qu'on accélère un peu trop ou que trop d'éléments explosent lors d'une fusillade. Peu importe des textures pauvres de près, de la verdure primaire, du clipping, car, malgré toutes ces faiblesses, le jeu a capturé quelque chose d'essentiel, qu'il reproduira dans Red Dead Redemption ; avant de voir et de dénombrer les défauts, il y a l'illusion que tout cela est naturel, pas forcément réel, mais naturel. On n'admire pas pour "la tuerie graphique", on admire, c'est tout, on a l'impression que la lumière du jour n'est jamais tout à fait la même. La ville est claire dans l'après-midi, elle baigne dans un jaune chaleureux et flou le soir. Il pleut, il y a de l'orage, de la brume. Certes, au bout d'un temps, on en a fait le tour, mais rien ne paraît artificiel.
Cela est renforcé par le moteur physique ; les véhicules se conduisent prudemment, et renverser quelqu'un semble, littéralement, le blesser légèrement ou mortellement selon l'impact. Si on lui roule dessus, on verra deux traînées rouges tracées par nos roues. Il y a un nombre incalculables de détails "qui sonnent vrais", autant dans la violence et la douleur (après tout, on incarne un criminel), que dans la vie de cette ville, avec son métro quasi-inutile d'un point de vue ludique, mais en même temps si précieux pour nous immerger davantage, avec ses passants pendus à leur portable, ou portant des sacs de provisions, ses camions-bennes le matin quand il fait encore nuit, et pour peu qu'on s'amuse à suivre un avion en hélicoptère, on le verra se diriger vers l'aéroport. C'est saisissant, bien mieux réussi et subtil, par exemple, qu'un The Saboteur où on nous annonçait l'anniversaire d'Hitler tous les deux jours (d'où l'expression, j'imagine "Il a pris dix ans d'un coup" ?)...
En fait, de la même manière que Red Dead Redemption, le visuel immersif au possible sera saboté par un scénario débile et incohérent, en plus de certains tics personnels à Rockstar ; avalanche de références souvent gratuites et même parfois hors de propos (que vient faire ici une référence à Terminator 2 !?!!!), humour de bas étage, incapacité à faire évoluer les personnages...
Un scénario d'une nullité quasi-totale (avec un peu de spoil)
Originaire de l'Europe de l'Est, Niko débarque à Liberty City en s'imaginant mener la belle vie avec son cousin Roman qui lui a parlé de sa réussite exceptionnelle. La vérité pointe très vite son nez ; Roman est une espèce de fanfaron ridicule et pitoyable, sans le sou, et endetté auprès de la pègre russe à cause de ses problèmes de jeux.
Premier problème ; il semble que Niko et Roman aient grandi ensemble, du moins qu'ils aient été proches dans leur pays d'origine. Donc Niko connaît son cousin, et son penchant pour se donner une image flatteuse, qui ne doit pas daté d'hier. Pourquoi croirait-il aujourd'hui à ses mensonges ?
Roman, patron d'un dépôt de taxi, a des amis parmi les criminels de la ville (?!!!), Little Jacob et Brucie. Si on imagine que ces amitiés permettent à Rockstar de mettre rapidement Niko en relation avec la petite pègre, ça n'en reste pas moins tout à fait inconcevable de voir en relations des gangsters avec un cave pareil. D'ailleurs tout le jeu repose sur des relations de ce type, permettant à Niko de travailler pour tous les gangsters de la ville, sans aucun souci de vraisemblance.
Roman doit de l'argent à Vlad, un petit chef de la mafia russe. Et Vlad se déplace en personne à son dépôt (!????), il n'envoie pas d'hommes de main, ou ne fait pas venir Roman à son QG, non, il se déplace jusqu'à lui... Que d'égards ! D'ailleurs, ce Vlad sera buté, non parce qu'il représente une menace, mais parce qu'il drague la copine de Roman... !!!? Dans Grand Theft Auto 4, on n'a rarement besoin d'une raison valable pour abattre quelqu'un. Si ce penchant est compréhensible durant les phases de jeu (pour nous donner quelque chose à faire), dans les cinématiques c'est le plus souvent ridicule et gratuit.
On finit par apprendre que Niko est venu à Liberty City pour retrouver quelqu'un dont il veut se venger. Il veut tellement le retrouver qu'il ne cherche jamais après lui, même lorsqu'il commence à fréquenter des chefs d'importance de la pègre russe qui pourraient le renseigner. Il faudra attendre la moitié du jeu pour qu'un commanditaire lui propose, peut-être, de l'aider. La réaction de Niko ? Aucune. Il va attendre, comme son futur ancêtre John Marston.
Alors, que fait Niko ? Il accumule mission sur mission juste pour l'argent, sans aucun scrupule, alors que son désir de vengeance est motivé par des élans de noblesse. D'ailleurs, l'argent, il en a besoin, il le dit souvent. On se demande donc pourquoi il continue de faire de basses besognes après avoir empoché 250 000 dollars lors d'un braquage d'envergure... C'est une sorte d'anti-héros pas trop mauvais, bien lisse comme il faut, toujours ironique dès qu'il s'agit de juger les autres, le gars "qui n'en pense pas moins", un héros à la Rockstar, moralisateur et sans reproche. J'ai préféré le Luis Lopez de l'extension Gay Tony, un connard assumé, un vrai personnage.
Ici, Rockstar ne prend jamais le temps de fabriquer une histoire ou de faire évoluer les personnages. On fera maximum trois à quatre missions par commanditaire, avant qu'ils ne deviennent des amis à faire sortir à répétition, des mecs à buter, ou tout simplement des gars dont on n'entendra plus parler. Tout le monde a droit à peu près au même traitement, entre des personnages à fort potentiel comme Dwayne et Playboy X, et des personnages débiles censées êtres amusants comme Brucie et Manny. Parce qu'on manque de temps, tous les personnages tombent dans la caricature, toutes les situations sonnent fausses car introduites à la va-vite et n'importe comment. Les dialogues sonnent faux aussi, car Rockstar, par peur que le joueur soit trop bête pour comprendre, ne cesse de pondre des personnages qui n'arrêtent pas de se justifier grossièrement, pour qu'on saisisse leurs intentions. C'est tellement mal fait, tellement faussement subtil que ça en devient insultant à la longue.
Il y a ici et là des scènes intéressantes, presque réussies, mais noyées dans la nullité générale, l'humour bas de gamme à la Jackass, et la critique puérile du Rêve Américain. D'ailleurs, par maladresse, Grand Theft Auto 4 a des relents racistes, car tous les immigrants qu'on y rencontre sont venus vivre le rêve américain en passant par l'illégalité. Toutes les petites rencontres du jeu sont des drogués, des usuriers, des magouilleurs minables, des gens trempant dans la petite criminalité. Le Rêve Américain, selon Roman, ce n'est pas mener une petite vie tranquille sans craindre le gouvernement en place, dans un pays qui travaille à la protection et au bonheur des citoyens (et là il y aurait des critiques à faire), non, le rêve ce sont les salopes à gros nibards et les grosses bagnoles de luxe bien voyantes... En somme le rêve du rappeur américain macho, mysogyne, grossier et m'as-tu-vu.
Ça, plus les petites attaques ironiques qui volent bas, comme les appels 911 pour l'ambulance où on vous demande de préparer "votre carte bancaire", des références faciles à 1984 de George Orwell, tout un tas de petites piques idiotes, superficielles, au final très agaçantes car ça sent l'adolescent rebelle de quatorze ans, boutonneux avec son tee-shirt de Che Guevara que par ailleurs il ne connaît pas.
Grand Theft Auto 4 ne fait pas entrer Rockstar dans la maturité, mais dans l'adolescence ingrate, avec des jugements à l'emporte-pièce et sans aucun esprit de nuances, un humour potache et de mauvais goût. Il tend vers quelque chose, mais il ne sait pas quoi, et nous non plus, il n'y a aucune direction scénaristique précise, juste une suite de saynètes servant à justifier des missions. À trop vouloir s'approcher du réalisme et du premier degré sans en avoir les moyens, Rockstar nous laisse aux prises avec un jeu de gangsters série Z.
Riche en contenu
Heureusement, il y a le gameplay. Lors de ma première partie il y a deux ans, j'avais été très déçu par le gameplay de Grand Theft Auto 4. Je connaissais assez peu le genre à l'époque, et m'imaginais que l'intérêt d'un open-world, c'était avant tout la créativité ; là tout était scripté. Impossible de d'anticiper, de détruire à l'avance le véhicule d'un ennemi qui va s'enfuir, ou de lui bloquer la route en créant un embouteillage maison... Mais il y a deux ans, j'étais encore naïf. Il y a deux ans, je ne m'étais pas encore tapé une dizaine de blockbusters surestimés, vides ou casualisés jusqu'à l'os (parfois les trois). Deux ans plus tard, donc, après des Batman AA, des Modern Warfare 2 et des Resident Evil 5, le constat s'impose de lui-même ; GTA 4 n'est peut-être pas à la hauteur de son potentiel, mais reste infiniment supérieur à la moyenne plutôt basse sur cette gen en ce qui concerne le plaisir ludique.
Contrairement à The Saboteur, Godfather ou Mafia 2, GTA 4 jouit d'un vrai contenu et d'une durée de vie tout à fait respectable pour le genre. D'ailleurs même ses extensions valent plus que le coup que ces open-world courts et mal fichus. GTA4 est même meilleur que Assassin's Creed 2 (qui lui aussi à un contenu fourni), car on y rencontre de la difficulté.
Il possède le meilleur système de TPS pour un open-world, avec Infamous, et même en dehors des open-world, les gunfights n'ont pas à rougir. Certes, la visée est parfois capricieuse lorsqu'on se trouve à couvert, ou dans un couloir étroit, mais rien de dommageable ni de vraiment handicapant. Certes il n'a pas la souplesse et la fluidité d'Uncharted, mais il propose en contre-partie des courses-poursuites délicates et jouissives, et la possibilité d'aborder l'ennemi de plusieurs manières la plupart du temps.
Les missions principales ne sont pas toujours passionnantes, ni toujours longues, elles sont même souvent anecdotiques. Mais on ne reste pas sur sa faim. Régulièrement, on tombe sur un gros morceau avec lequel on va se régaler. Les à-côtés sont réjouissants aussi, entre les missions de police, courtes mais qu'on peut facilement enchaîner, les petits boulots comme des contrats de tueurs à gages, des vols de voiture.
Après, il y a le reste, le négatif... l'absence de checkpoints, par exemple, qui décourage radicalement de recommencer une mission plutôt longue. Les scripts ; on poursuit une moto, on lui tire dessus depuis deux minutes inutilement, car elle est invincible jusqu'à un certain point du parcours. On n'est bien entendu pas au courant. Les missions qui n'en sont pas vraiment, genre suivre une bagnole cinq minutes pour la faire exploser par téléphone. Passionnant, cette habitude de prolonger le scénario par du gameplay sans intérêt...
L'aspect vie sociale est éreintant si on se penche dessus. Vous avez des amis... Ils peuvent vous fournir des bonus (des bons prix sur les armes, notamment)... Et pour cela, il faudra les sortir dans des bars, les accompagner lors de mini-jeux chiants et répétitifs, comme le billard ou les fléchettes. Des allers-retours, des allers-retours, comme s'il n'y en avait déjà pas assez dans un open-world... Mais en plus des amis, il y a les petites amies... Personnellement j'ai fait une croix dessus pour cette seconde partie. J'ai sorti deux fois Little Jacob pour les armes en solde, puis basta !
Il y a aussi le côté G.I. Joe qui défait le peu qu'il restait à défaire de la crédibilité du scénario. Niko sait tout conduire ; motos, hors-bords, poids lourds, hélicoptère, il fera même du Fast and Furious ! Alors je me dis, quitte à faire dans le grand n'importe quoi et le fun absolu, autant y aller à fond. Mais pour cela il faudra attendre The Ballad of Gay Tony. GTA 4 a tendance à être sage et très répétitif. Il manque clairement d'originalité sur les missions, et là je ne demande pas forcément des missions farfelues, mais mieux pensées. Ici, quoi qu'on fasse, cela aboutira fréquemment à une fusillade suivie d'une course-poursuite (parfois scriptée), autant dans les missions principales que les secondaires. Plus on avance vers la fin, plus ce modèle s'impose et devient lassant. Parfois, attention à la variété !, on aura une course-poursuite suivie d'une fusillade...
Le système de choix ne sert pas à grand-chose. À quelques reprises, on aura le choix entre tuer ou non un gars. Je n'ai pas trop compris à quoi cela pouvait servir, et même à une occasion, rien que le fait de nous laisser le choix va à l'encontre du personnage que l'on incarne (même si on n'est plus à une incohérence près).
Grand Theft Auto 4 est de loin le meilleur open-world de cette génération. Au niveau de la crédibilité de l'univers, il règne en maître avec Red Dead Redemption, mais il enterre ce dernier sur le terrain du plaisir ludique et de la consistance des missions. Avec un scénario écrit avec un minimum de bon sens, ça aurait même pu être un grand jeu.