Avant ce jeu, le online n'existait pas.
Tout d'abord, je voudrais remercier l'un de mes éclaireurs que, par respect pour sa vie privée, je nommerai « Dunslim ». Dunslim, donc, me conseilla fortement Journey, jeu que je comptais bien essayer un jour ou l'autre mais dont l'achat aurait sans doute été reporté à une date très lointaine, une époque où croiser des cyborgs et des voitures volantes dans la rue n'aurait rien d'étrange. C'est donc en pensant à ce cher éclaireur (je peux être très sentimental parfois) que je me jetai sur l'édition collector MATERIELLE proposant les 3 jeux thatgamecompany que je me suis aussitôt enfilés à la suite. Au sens figuré, bien sûr.
Mon premier jeu online, donc. Il faut me comprendre: tous ces modes multijoueurs où on se retrouve dans des arènes à se tirer les uns sur les autres sans le moindre prétexte pendant des heures et des heures tout en tournant en rond, ça ne m'intéresse prodigieusement pas. Le génie de Journey est de proposer tout le contraire de ça: le mode online est transparent et vous permet de rencontrer un joueur (à la fois) dans l'environnement même du mode solo. La seule différence (gigantesque) entre solo et online, c'est que la notion d'entraide et - osons même - d'amour est exploitée. Oui, Journey est bien le seul jeu en ligne qui vous propose d'aimer l'inconnu qui se présente à vous plutôt que de lui défoncer la gueule dans un réflexe pavlovien.
On ne vous oblige à rien. Vous pouvez nier votre compagnon et le laisser partir. Un autre prendra alors sa place, encore et encore. Vous pouvez voir passer tous ces amis potentiels, ces joueurs du bout du monde ou de la maison d'en face, comme des comètes qui brillent un instant à l'écran avant de disparaitre. Vous pouvez juste contempler ce défilé étrange, image numérique du flux réel de la vie. Ou vous pouvez faire un bout de chemin avec lui, avec elle. Vous ne savez pas. Vous ne savez rien de l'autre. Tout ce qu'il y a, c'est cette humanité réduite à sa plus simple expression, à une succession de petits flashes lyriques qui constituent le plus élémentaire des langages, universel. Vous vous entraidez. Vous volez ensemble, vous vous rechargez mutuellement, vous vous montrez l'un l'autre vos découvertes de précédentes parties... Finalement, vous pouvez faire plus qu'un bout de chemin ensemble: vous pouvez tenter toute l'aventure avec un seul compagnon. Ce n'est pas si simple que ça. L'Homme n'est pas un animal fiable. Même quand tout n'est qu'un jeu... Mais si vous découvrez votre âme-soeur ludique... Dieu ! quelle expérience !
Ca m'est arrivé. Et j'ai rencontré quelqu'un en qui je me suis étrangement retrouvé. Après le générique de fin, le pseudo de tous les joueurs rencontrés s'affiche enfin, permettant à ceux qui le désirent de nouer des contacts un peu moins virtuels. Elle s'appelle Emily. Elle est américaine, approximativement du même âge que moi et nous partageons tout un lot de points communs. Nous décidons tout logiquement peu après de reprendre une partie ensemble en nous connectant en même temps au même endroit dans le jeu. Ca réussit du premier coup. Emily me dit que c'est très étonnant, qu'elle avait déjà essayé avec d'autres et qu'elle avait du s'y reprendre à plusieurs fois.
Je ne suis pas en train de vous dire que j'ai trouvé la femme de ma vie en jouant à Journey, ok ? Je ne parle pas de Meetic mais d'une expérience vidéoludique... pratiquement sans vous parler du jeu lui-même, d'ailleurs. Parce que, pour moi, c'est l'expérience humaine qui prime. Elle est peut-être éphémère, elle est peut-être largement illusoire, mais combien de rencontres dans le monde réel ne sont-elles pas ainsi ? De fait, en solo, Journey perd pour moi tout son attrait.
Sa structure épurée se base pourtant sur le « Voyage du Héros » de Joseph Campbell, l'incontournable anthropologue qui dévoila le parcours initiatique caché au sein des plus grands mythes. Vous connaissez très certainement cette célébrissime théorie qui résume les principales étapes que doit traverser tout héros en quête de la Révélation. Par contre, qui peut se vanter de l'avoir expérimenté soi-même ? Journey pourra peut-être vous en donner un avant-goût. Mais pour ça, il faudra vous connecter... au moins une fois.