Il y a rarement beaucoup de jeux qui suscitent un tel niveau d’attente chez les fans de longue date au point qu’on se pose la question toute bête : est-ce que ce jeu verra finalement le jour ? Kingdom Hearts III fait parti de cette catégorie tant par l’écart temporel avec le deuxième gros volet de la franchise qu’avec ce qu’il a longuement promis aux fans entre la conclusion d’une ère, les évolutions techniques et les mondes Disney et Pixar qui nous seront accessibles dans ce dernier jeu de la trilogie. Tetsuya Nomura entretenant un contact de réassurance avec le public avec la diffusion des bandes-annonces lors de l’E3 de 2019 et d’une démo jouable, promettant la découverte des mondes d’univers Disney récent sans oublier qu’on a également eu droit à une démonstration technique avec A Fragmentary Passage qui témoignait déjà de l’amélioration graphique en plus de 12 ans.
Mais ça serait oublier une chose importante, c’est que Kingdom Hearts III fait parti des jeux de la licence ou l’histoire est centrale pour les joueurs comme les 2 premiers gros opus. Sauf qu’il doit aussi servir de conclusion aux événements qui ont eu lieu dans les épisodes annexes, le préquel Birth By Sleep et le prologue à ce troisième jeu. Le défi est donc de satisfaire tout le monde entre les fans ayant suivi une histoire aussi décousue et découpée avec les épisodes annexes avec leur minimum d’information, et ceux qui ont suivi surtout les gros volets sur console de salon et se sont contentés de résumé permettant d’apprécier l’aventure sur la durée.
L’ouverture traditionnelle des jeux principaux est une replongée savoureuse pour le joueur longtemps absent de l’intrigue centrale de la licence. Avec ce vitrail sur lequel est dessiné notre héros, et le thème de Dive into the heart actualisé, c’est les retrouvailles avec la sensation que nos premiers choix selon notre nature de gamer auraient une influence sur notre aventure. Retrouvailles qui s’accentuent avec nos 3 héros et leur départ pour le premier monde selon l’automatisme du prologue : l’Olympe ou on assiste, ENFIN, à la conclusion du récit du monde d’Hercule après 2 séjours d’affilée et avec les figures populaires de la licence comme le duo Maléfique et Pat en quête d’une mystérieuse boîte noire, d'un membre de l'Organisation revenu d’entre les morts et bien sur d’Hercule himself. Passé la grosse frustration de l’absence de VF au doublage (choix incompréhensible alors que FF XV en a une alors qu’elle n’était pas attendue), l’écart de qualité sur la forme se traduit rapidement par un mélange et alchimie quasi parfaite entre les différents types de gameplay explorés et exploités sur plus de 18 ans.
Pendant ces premières heures, le joueur assidu et fidèle à chacun des opus pourra rapidement faire un premier étalage des améliorations en retrouvant ce qui lui avait plu précédemment mais en pouvant désormais combiner le tout : de l’interaction avec les décors et les murs instaurés depuis Dream Drop Distance en passant par l’invocation d’un esprit comme coup spécial, les différents types de Keyblade permettant des combos spécifiques et les invocations permettant de nouveau de satisfaire le fantasme de lier des alliances avec des héros de l’écurie Disney pour botter les culs des sans-cœur, des similis et des boss de fin de monde en partie histoire. Le tout avec les premiers morceaux novateurs de Yoko Shimomura la parraine des musiques de la licence, et les musiques populaires de la licence actualisés. Là-dessus ou sur l’esthétique, on peut difficilement tacler Square Enix et l’équipe de Tetsuya Nomura sans mauvaise foi tant ça a gagné en expressivité.
En évoquant les nouveautés présent, la plupart des mondes regorge de petit easter eggs à piocher à droite et à gauche (le têtes de Mickey à photographier, les cartoons en noir et blanc diffusé à la Cité du Crépuscule) et même de mini-jeu accouplé avec le monde Disney ou Pixar : du festival du soleil à Corona extasiant et rendant facilement addict (j’aurais pu y rester des heures) jusqu’à la course d’obstacle à San Fransokyo en passant par le jeu vidéo Verum Rex dans la magasin de Jouet du monde inspiré de Toy Story, il y a quasiment de tout au point qu’on n’en est pas toujours qu’à la course au high score pour obtenir un ingrédient ou une récompense utile pour la suite du voyage.
Même toute la partie liée au voyage en vaisseau gummi envoi rapidement au tapis tout ce qui a été fait sur les deux premiers jeux : c’est nettement plus fluide, bien plus maniable et ergonomique et surtout les divers galaxies ont chacune leurs challenges et également leurs petits secrets pour les plus curieux et acharnés.
La liberté de déplacement et la fluidité graphique ainsi que l’excellente gestion de l’espace permettent une mouvance admirable, de même pour la vie beaucoup plus présente au sein des environnements des mondes auxquels nous sommes familiers (La cité du Crépuscule et L’Olympe pour ne citer qu’eux) et les phases transitoires dans l’espace plus prenante et divertissante. Mais cet opus se retrouve freiné dans son élan par son traitement scénaristique sur le parcours suivi par Sora, Donald et Dingo : Kingdom Hearts III souffre de sa légèreté de ton, de son esprit bon enfant qui peine à évoluer et de ses récits qui peinent à tisser une connexion avec les cinématiques et les intrigues parallèles présentés dans cet ultime opus
(l’entraînement de Kairi et Léa au maniement de la Keyblade, la recherche d’Aqua par le roi Mickey et Riku).
C’en est au point ou l’Organisation XIII est réduit au rôle de figurant alors qu’ils sont la menace centrale, Xehanort compris qui est à leur tête et complote depuis le début dans l’ombre.
Pire encore, ce troisième opus tombe dans le piège qu’il avait pourtant su éviter avec les principaux opus en reprenant les intrigues des mondes Disney mais en réduisant trop souvent notre trio principal à celui de spectateur dont l’influence des actions de Sora et ses deux compagnons ne se ressent pas. Tout le voyage exécuté au sein du monde de La Reine des Neiges est un exemple désolant puisqu’il est celui pour lequel les fans ont exprimé le plus de mécontentement : en plus de montrer quelques carences graphiques difficilement explicable (la rencontre avec Kristoff et Anna dont la modélisation est loin d’être nickel), la reprise des plans du film d’animation et l’absence de rapprochement émotionnel avec les héros du film et ceux que l’on contrôle nous empêchent continuellement d’être pris au tripe ou d’être émerveillé par cette redécouverte.
Le mimétisme est tel qu’on ne fait qu’assister au loin au final de notre séjour dans ce monde sans un dernier Au-revoir avec eux, et qu’en dépit des combats et du boss final on a l’impression d’être là en touriste.
Alors que les deux premiers gros opus, et même les spin-off ainsi que le préquel, trouvaient la grosse majorité du temps un juste milieu entre fidélité pour chacun des mondes et redécouverte par les yeux de Sora dans lequel on se projette tout en les investissant, lui et ses deux compères, dans les combats et les épreuves traversés par les héros Disney. Même quand il y avait la démarche fan-service tel que le monde en noir et blanc des cartoons Mickey et compagnie. Chose qui fait défaut ici et ça reste un euphémisme puisqu’on a du mal à apprendre grand-chose de plus avec Sora ou sur Sora, le remplissage se fait sentir plus d’une fois (et mieux vaut ne pas parler du monde de Winnie l’ourson ou on a un seul mini-jeu recyclé et qui relève totalement de l’anecdotique, beaucoup l’ont déjà fait d’ailleurs).
Et tout les plaisirs du monde ne changeront rien au problème. L’aventure devient plus entraînante en termes d’écriture dés lors que les personnages Disney se retrouvent impliqués ou s’investissent dans les problèmes de nos héros
(Sullyvan et Bob Razowski qui sauvent la situation alors que Vanitas a le dessus sur Sora)
ou lorsque les mondes Disney/Pixar se décident à raconter une histoire différente. San Fransokyo tiré de Big Hero 6 et Toy Box inspiré de Toy Story en sont les faits les plus parlant même si on peut regretter un inversement de caractère entre Woody et Buzz dans le deuxième cas. Tandis que San Fransokyo a pour lui l’immensité de la ville, la liberté de découverte après la partie histoire et surtout la beauté graphique claquante avec quand même un minimum de rapprochement avec l’intrigue centrale.
On avance qu’à petit pas lorsque les cinématiques plus intimes, plus dramatiques ou critiques arrivent entre la visite de deux mondes
(l’enlèvement d’Ansem le sage lui-même coincé au royaume des ténèbres aux côtés d’Aqua et le basculement de celle-ci du côté obscur, le retournement de veste de Vexen).
Et même là il y a certains hics indéniable, comme l’absence du groupe de Squall (appelé Léon, diminutif de Leonhart) qui retire entièrement les apparitions des personnages de Final Fantasy alors qu’ils avaient un rôle de soutien et même de repère dans les premiers opus (et encore, d’après le DLC prévu pour prochainement, il ne serait pas impossible qu’ils aient été coupé de la version finale du jeu).
Heureusement, le jeu finit par sortir une ultime carte de sa poche dans sa dernière partie.
Passée les deux premiers tiers et lorsqu’on relance pleinement la quête du sauvetage d’Aqua, Kingdom Hearts III se débat et renoue enfin avec l’intimité des personnages et le poids des enjeux en accordant un ultime temps de repos à chacun des héros que ça soit ceux qui suit avec les jeux principaux (le poids des actes de Riku qui raisonne encore lorsqu’il parle avec son double, les sentiments liants Sora et Kairi partageant symboliquement un fruit Paopou sur l’île du Destin, Lea/Axel partageant seul une glace à l’eau de mer à la tour de l’horloge à la Cité du Crépuscule) et tout le dernier segment à la Nécropole des Keyblades donnent enfin une pleine consistance à cet ultime opus entre retournement drastique, les affrontements qui se succèdent contre les membres de l’Organisation XIII, les alliances à former avec les compagnons de Sora et surtout l’impuissance du joueur au moment ou l’on s’y attend le moins (le sacrifice de Kairi par Xehanort pour former la X-Blade) et l’affrontement final réussissant un investissement complet contre un Xehanort sous plusieurs formes ou la difficulté de jeu est réelle (pas du niveau du final surprise de NieR : Automata mais ça c’est une autre histoire que je garde pour plus tard).
Le souci de l’investissement touchera énormément ceux qui n’ont pas grandi avec les jeux annexes et se seront contenté des résumés proposés au fil du troisième opus (bon moyen pour ne pas louper des éléments importants mais mauvaise idée pour investir le joueur qui aura manqué une grosse partie de la mythologie Kingdom Heart) mais pour quelqu’un ayant au moins rattrapé l’histoire en ligne ne serait-ce qu’en voyant des let’s play ou les cinématiques, l’effet escompté sera bel et bien présent et les grands moments fonctionneront.
Tel les retrouvailles entre le trio Xion/Roxas/Axel auquel 358/2 Days nous a tant attaché, ou l’extrême intensité du combat contre le trio Xemnas/Ansem/jeune Xehanort.
Et ce jusqu’au sacrifice ultime de Sora dont le dernier plan avant les crédits de fin de jeu ne laisse pas planer beaucoup de doute (du moins à ce moment précis) : son pouvoir de l’éveil pour ramener Kairi parmi les vivants effacera son corps, son cœur et son esprit et c’est avec une larme de la jeune adolescente, un soleil de crépuscule, les victimes des machinations de Xehanort enfin sauvé avec une existence épanouie et Don’t Think Twice en fond d’Utada Hikaru que se conclut ce jeu laissant une amère mélancolie et un énorme pincement au cœur des joueurs ayant suivi cette licence aussi longtemps… du moins jusqu’à la scène post-générique révélant enfin la boîte noire cité par Maléfique et Pat (présents que pour du teasing et de la figuration, un peu triste quand même) ayant un œil curieux sur cet objet, l’identité réelle de Xigbar dont le suicide était une mascarade trop douteuse pour qu’on y croit pleinement ainsi que les 5 autres Oracles longtemps disparus et probablement oubliés le rejoignant, et la fin secrète dévoilant Riku et Sora chacun dans une ville plus ou moins semblable à l’autre (dont Verum Rex pour Riku), un men in black qui pourrait être le maître des maîtres présenté dans Back Cover et une musique en fond sonore mixant en partie le thème de Somnus tiré de Final Fantasy XV. Reste maintenant à savoir ce qu’il y aura à trouver dans ce teasing surprise.
Kingdom Hearts III se retrouve souvent entravé par des soucis de création en interne, un ton souvent trop proche des deux premiers jeux alors qu’il a un niveau de gravité non négligeable sur certains aspects et tombe souvent dans le piège de la redite scénaristique des mondes Disney en plus de teaser des éléments maladroitement dans un récit qui n’en avait pas forcément besoin. Mais il comble bien ses lacunes par sa générosité de gameplay, son ambiance bon enfant qui fait l’identité de la licence, son dénouement épique, fort et émouvant qui conclut une ère et laisse une ouverture pour une autre histoire sur laquelle Tetsuya Nomura n’a pas cachée qu’il avait des pistes tandis qu’un complément alléchant en DLC devrait prochainement voir le jour le mois suivant (soit un an après la sortie du jeu).
Qui sait, peut être aura-t-on la chance de voir les méchants de séries Disney comme Bill Crypto, Miss Tick de Gravity Falls et Ducktales comploter contre nos héros ? Et aussi celle de contrôler davantage de maître de la Keyblade ?
En attendant cela, nous auront déjà l’occasion de découvrir avec Square Enix si le remake de Final Fantasy VII réussira à convaincre en tant que tel en 2020.
Que notre cœur soit la clé qui nous guide !