« Beware those blind with rage are by destiny ensnared »

Après un premier épisode fort sympathique, Legacy of Kain devint saga sous l’impulsion de Crystal Dynamics, et de son nouvel éditeur Eidos, qui appliqua l’univers à l’un de ses projets censés être à l’origine une nouvelle licence. La franchise vampirique fait ainsi son grand retour avec la promesse d’incarner un nouveau personnage face au protagoniste de Blood Omen à travers un Nosgoth en monde ouvert et en 3D présentant des donjons tous plus éprouvants les uns que les autres. Soul Reaver se rapproche ainsi davantage du jeu d’action-aventure à la manière d’un Zelda que d’un ARPG, et pourquoi pas ?


Surtout que le changement de protagoniste justifie assez bien un changement de philosophie de jeu. Néanmoins, tout repenser implique tant de travail que le jeu doit être coupé en deux avec cette première partie sur Playstation et sa suite qui sera portée sur la génération suivante. Voyons si ce premier chapitre de Soul Reaver tient toutes ses promesses et je vous propose de plonger dans les abysses pour le découvrir avec cette splendide reprise du thème principal.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆


La réalisation de Soul Reaver repose sur une première prouesse technique d’une ambition pharaonique : un monde ouvert sans temps de chargement pour l’ensemble du jeu ! Même vaincu, vous êtes téléportés au point de départ du jeu, sans temps de chargement, un vrai soulagement quand on repense à la version PS1 de Blood Omen. La Playstation 1 ne peut le supporter sans s’accompagner de sérieux compromis techniques au rang desquels nous pouvons compter des baisses de framerate, une distance d’affichage limitée, des chevauchements de texture et un aliasing assez prononcé, autant de défauts qui semblent inévitables compte-tenu des standards de l’époque et qui seront corrigés dès les versions Dreamcast et PC les mois suivant sa sortie.


Une cinématique d’introduction à la mise en scène impeccable, des boss de très grande taille, des effets de déformation très prononcés lors du passage d’un monde à l’autre, des animations très décomposées épousant bien les surfaces, des effets de particules à foison, notre disposition des éléments du décor gardée en mémoire, des skins propres à chaque clan pour les lances qu’on y trouvera, une interface claire, stylisée et épurée… le soin du détail est omniprésent et poussé à l’extrême.


Et ce ne sont pas les inspirations artistiques qui viendront entacher le tableau, elles qui sont des plus nombreuses et efficaces, à l’image de la réappropriation du design de la reine Xénomorphe d’Aliens pour celui du boss Zepphon qui y rend hommage tout en ayant clairement sa propre identité visuelle. Et bien sûr l’existence de 2 déclinaisons artistiques pour chaque lieu rivalisant de désolation est une réussite artistique absolue également pour ce concept central à l’expérience de jeu.


Le chara-design de Raziel est extraordinairement original et soigné pour un rendu sombre et classieux, sa cape faite de chair morte, sa silhouette famélique, ses yeux blancs cernés de noir… tout incarne sa damnation, élément clef de l’intrigue et de l’ambiance. Tout le bestiaire monstrueux sera également de qualité, la seule limite à tout ça c’est les visages humains ou ressemblant, forcément Soul Reaver ne peut pas faire de miracle en 1999 sur un sujet aussi complexe à rendre.


Le duo Kurt Harland, du groupe Information Society, pour les musiques et Jim Hedges pour le reste de la bande-son, fait des merveilles pour que le son soit en synergie avec les ambiances du jeu, chaque zone étant rattachée à un thème musical composé sur mesure et des variations sont réalisées via un driver personnalisé pour que la musique s’adapte en temps réel à la situation en jeu, contrairement à Blood Omen. Si le magnifique thème de Raziel Ozar Mishradim a été composé avant le jeu pour l’album Don't Be Afraid, il n’en reste pas moins un thème d’anthologie au panthéon de mes musiques de jeux vidéo préférés.


GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆


Passant de la 2D à la 3D sur la même génération, Legacy of Kain vient offrir à la Playstation un titre dont le game-design se retrouve comparable à l’Ocarina of Time de chez Nintendo tout en se distinguant nettement des Tomb Raider sur la même machine et par le même éditeur. Autant le dire d’emblée, cette transition est largement réussie avec un maniement complet, précis et agréable, malgré une inertie légèrement frustrante sur certaines phases de plates-formes, un concept central de 2 dimensions distinctes pour l’ensemble du jeu et un level-design tirant pleinement profit de ce maniement et de ce concept.


Le monde ouvert regorge de hubs, de zones facultatives, de raccourcis… et l’explorer est un point essentiel de l’aventure. D’une part, un bon tiers du contenu du jeu est facultatif et vient récompenser une exploration assidue et une attitude persévérante, sans jamais trop masquer une zone derrière un passage introuvable sans solution. D’autre part, la topographie des environnements et l’architecture des donjons sont très bien élaborées avec des raccourcis à débloquer pour retrouver rapidement notre progression si on interrompt notre exploration.


Les capacités à débloquer permettent d’accéder à de nouvelles zones tout en offrant de nouvelles attaques et possibilités de mouvement très agréables pour ressentir un sentiment de progression, enrichir le gameplay et motiver à reparcourir les zones passées à la recherche des secrets qui s’y planquaient et nous auraient échappé à notre première visite. Elles s’intègrent ainsi très bien au jeu qui en ressort avec un aspect organique de ses mécaniques qui semblent très bien s’imbriquées les unes avec les autres.


Les combats sont assez techniques, malgré une panoplie de mouvements limitée, avec un système de coups pouvant étourdir et d’autres pouvant achever, la nécessité de composer avec les multiples éléments du décor avec lesquels nous pouvons interagir, le système d’esquive dynamique, l’IA ennemie sanctionnant clairement l’attaque frontale… Certes, ça manque de styles de jeu différents pour motiver la rejouabilité, mais ça serait vraiment être terriblement exigeant que d’attendre tant d’un jeu de ce type à cette époque.


Se voulant éprouvant, moins accessible qu’un Zelda, Soul Reaver peut être impitoyable et ce challenge est plutôt bien géré dans l’ensemble même si par moment cette difficulté peut être un peu trop gratuite à mon goût. On a par exemple des longues phases de plates-formes qu’il faut recommencer à la moindre erreur, des ennemis qui respawnent en boucle en pleine énigme pendant que tu réfléchis à sa résolution, des solutions planquées en hauteur alors qu’aucun indice n’invite à y attarder la caméra manuellement, un même mécanisme permettant d’ouvrir un passage ou déclenchant un piège qu’il conviendrait d’éviter, l’impossibilité de réinitialiser une énigme et donc l’obligation de composer avec ses erreurs si on a sauvegardé… De plus, l’impossibilité de passer les cinématiques lors des retrys est un petit inconfort qui aurait pu être facilement évité.


Mais pour moi, la plus grande source d’insatisfaction c’est que le jeu est tellement bien dans l’ensemble qu’on en redemande. Or, les moyens des développeurs leur imposant de couper l’aventure en 2 jeux n’ont même pas été suffisants pour totalement terminer cette première partie. On peut ainsi constater l’absence d’un donjon entier et de son boss alors que teasés dans le jeu à différents moments, une zone de jeu réduite en taille et la disparition de plusieurs pouvoirs ou de leur amélioration, le tout représentant 4 à 5 heures de jeu potentielles au premier try. Mais quand on en demanda davantage, c’est aussi qu’on apprécie grandement l’expérience et c’est la meilleure preuve de sa qualité. Mais j’ai bien peur de devoir désormais un peu plus sanctionner cet aspect précipité de la sortie du jeu.


SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆


Salué pour ses dialogues nombreux, raffinés, concis et très efficaces, Soul Reaver développe une intrigue de vengeance claire et entraînante teintée de mystères laissant planer l’ombre d’enjeux bien plus complexes qu’il n’y paraît. Il le réussit parfaitement même si je trouve qu’il lui manque un prologue plus complet. En effet, si le manuel dévoile une présentation de l’univers par Raziel lui conférant un charisme à toute épreuve tout en iconisant Kain, l’introduction plus courte nous faisant rentrer de plein pied dans l’intrigue ne nous laisse pas le temps de comprendre qui sont Raziel et ses frères, nouveaux personnages de la saga.


Une première période de jeu, même courte, avec les différents frères de Raziel sous leur forme vampirique et une présentation de l’état de Nosgoth avant notre grand plongeon me parait manquante pour pleinement comprendre le point de vue de notre protagoniste. Par exemple, quand il découvre son domaine et se déplore de ce qu’il est devenu, ce n’est qu’avec ses explications qu’on comprend sa réaction, impossible de pleinement vivre les choses en même temps que lui. Mais c’est vraiment un reproche secondaire et parfaitement personnel.


Si le doublage VF s’inscrit parmi les meilleurs sur Playstation 1, les doublages VO sont d’une telle qualité qu’ils leur restent supérieures au service d’une heure de doublage, bien plus ambitieux que chez les concurrents du genre et l’une des raisons qui expliquent le succès critique du scénario de Soul Reaver. Par ailleurs, le système de réputation du jeu est une excellente idée même si au début le système manque de clarté et qu’au final il n’est pas tellement exploité, mais comme il ne s’est jamais vendu là-dessus, ce n’est pas très grave.


Le vrai souci c’est que la fin du jeu est tout de même terriblement décevante et qu’à cause de ça je n’arrive pas à louer les louanges de cette intrigue comme je peux le faire pour les autres éléments du titre :

Si quelques révélations, comme notre futur nous amenant à tuer Ariel, ou interrogations, comme la véritable nature des Séraphéens remis en cause par Kain, elle n’en reste pas moins une fin en queue de poisson qui invite beaucoup trop à sa suite. Quand on sait que Soul Reaver 1 et 2 auraient dû constituer un seul jeu, ça semble logique que l’intrigue se termine de façon abrupte, mais ça reste insatisfaisant tant rien n’est résolu dans cette fin et pour cause, le jeu n’a pas été terminé, même cette première partie.

L’intrigue devait être plus étoffée, Raziel aurait dû vivre des péripéties complémentaires qui l’aurait amené à vaincre Kain mais aussi à se retourner contre Ariel qui aurait eu plus de présence avant ça ou encore à exterminer la race des vampires, manipulé par l’ancien, le motivant à voyager dans le temps pour corriger ses erreurs et c’est seulement là que la deuxième partie aurait été teasée en fin de jeu. On aurait eu une fin à l’intrigue de cet opus, Raziel pourfendant Kain avant d’être invité à une nouvelle aventure qui peut justifier de se découvrir dans un nouveau jeu.


CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆


Soul Reaver est une aventure à la réalisation ambitieuse, aux mécaniques de jeu originales, à la difficulté éprouvante qui avait le potentiel de le hisser à l’égal de la franchise Zelda sur Nintendo mais tronqué d’une partie conséquente de son contenu initial, son intrigue n’est pas suffisamment développée et trop mal conclue pour cet épisode. Soul Reaver est un excellent jeu d’action-aventure 3D de son époque et une étape cruciale pour le développement de la jeune saga Legacy of Kain, quel dommage qu’il n’ait pu être terminé.

damon8671
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le 23 févr. 2024

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