Je suis née sur Terre, orpheline. L'enfance est rude, surtout pour une fille. Une fille doit toujours parler plus haut et taper plus fort que les garçons si elle veut rester en vie, croyez-moi. Les bas-fonds ont forgé celle que je suis aujourd'hui. J'ai connu la violence, le crime, le viol et la mort dans la rue. Je me suis battue, mes pouvoirs biotiques n'étaient hélas pas encore sufisamment matures pour constituer une vraie force. En réalité ils constituaient un handicap. Déjà orpheline, j'ai vécu paria, les humains n'ont jamais été tendres avec ce qu'ils ne peuvent comprendre. Je m'en suis sortie, en étant plus maligne que les gros bras.
Je me suis engagée dans l'Alliance à 18 ans, simple prétexte pour fuir de cet enfer.
Le monde de l'armée galactique Terrienne n'est pas franchement féministe. Malheureux constat que de voir qu'au 22ème siècle, les femmes ont toujours droit à des mesquineries et autres bassesses. A l'Alliance, on me surnomme "la rouquine". Je suis même pas rousse, je suis blonde vénitienne et j'ai les yeux verts, mais il faut croire que ça suffit à ces... garçons. Enfin, c'est toujours autre chose que les enfants qui me criaient "opossum !" pour me rappeler mon léger strabisme. Je ne suis pas parfaite, mais je peux vous jurer que loucher ne m'a jamais empêché de viser juste. Si je sais me montrer tolérante, compatissante, concilliante et compréhensive je n'ai jamais hésité à recadrer ceux qui doivent l'être. Je me souviens encore de ce coup de boule que j'ai asséné à ce Krogan lors de ma mission sur Tuchanka avec Grunt et Mordin. Ca fait encore mal mais ça valait le coup.
Grâce à l'Alliance, j'ai pu développer mes dons biotiques pour en faire de véritables armes de guerre. J'étais sur Elysium lors du célèbre Raid Skyllien. L'attaque était d'une violence inouïe, j'ai appliqué là bas les mêmes réflexes de survie que dans la rue. J'ai organisé une résitance civile et je suis parvenue, certainement par miracle, à tenir position, à repousser l'assaut, à contenir la bataille jusqu'à l'accueil des renforts. L'Alliance aime à construire des héros, à ériger des modèles, et il faut croire qu'en menant ce combat sur Elysium, j'en était devenue une.
L'Alliance me gratifie alors du plus haut grade possible des forces spéciales : l'écusson N7.
En 2183, je suis déjà commandant en second du SSV Normandy SR-1, sous les ordres du capitaine -et ami- David Anderson. Ce cher Anderson est un de ces rares hommes en qui je place toute ma confiance. Je n'ai jamais beaucoup aimé les garçons, en tout cas certainement pas les soldats. Toujours est-il qu'après la mission sur Eden Prime, il me nommera commandant en chef du Normandy. Là bas, nous avons trouvé quatre choses : le retour affolant des Geths, la trahison du spectre Saren, le tristement célèbre Moissonneur Sovereign et une balise prothéènne qui me vaudra des visions déconcertantes, un beau coma et surtout un excellent prétexte pour soutenir mon statut de spectre auprès du conseil de la Citadelle.
Je suis devenue la première spectre humaine de l'Histoire.
Le conseil ne m'a pas cru, ils m'ont envoyé en mission à travers l'espace concillien pour tenter de trouver des preuves de la trahison de Saren. J'adore voyager, la galaxie est fascinante, j'ai énormément de respect pour les peuples Quariens et Turiens, et les Asaris incarnent le plus fascinant des peuples à mes yeux. Aujourd'hui, plus rien n'a d'importance, je vous dois bien de l'avouer, j'ai peur des Krogans. Ils sont fiers, vengeurs et brutaux. J'ai beau me justifier de la mort de Wrex par maints prétextes, la vérité est édifiante : j'ai eu peur. Je sais désormais que sa mort n'était pas nécessaire, mais ce jour-là, sur Virmire, j'ai laissé l'émotion me contrôler.
Qu'importe, le voyage à la poursuite de Saren aura permis ma rencontre avec mon adorée Liara. Maline, curieuse et belle, elle est la plus fascinante représentante de la plus fascinante des races. Je me suis battue contre des Asaris, des Krogans, des Geths, des Zombis et des agents de Cerberus à ses côtés -et ceux de Tali, complétant ainsi le célèbre commando féminin qui sauva la citadelle de Sovereign-, ensemble nous avons visité tant de colonies désolées -plus laides que les Vortchas- et tant de planètes offrant une vue imprenable sur le cosmos flamboyant. J'ai adoré explorer ces planètes inconnues, même si j'ai eu beaucoup de mal à piloter le Mako (le premier qui crie "femme au volant" est mort.). De ce voyage, je n'ai retenu que la beauté d'Ilos, la sublime Novéria et la rencontre avec la fabuleuse mélomane reine Rachni.
J'ai fini par sauver la Citadelle et le conseil de l'attaque de Sovereign, et puis je suis morte.
Cerberus m'a ramené à la vie en 2185. Autant dire que si j'étais heureuse qu'on me donne une seconde vie, je ne me suis pas fait une joie de devoir collaborer avec Cerberus. L'homme Trouble voulait que j'arrête les Récolteurs et les Moissonneurs en constituant un commando. Même si c'est plus clair à dire aujourd'hui, je n'ai fait aucunement confiance à Cerberus à ce moment là. J'ai brouillé les pistes dès que je le pouvait pour avantager l'Alliance, j'ai détruit la base des Récolteurs sans rien conserver au grand dam de l'Homme Trouble, j'ai également perdu sans remords Jacob Taylor dans ce combat. Je n'ai jamais aimé Jacob, prototype de tout ce que je peux haïr chez un homme, je crois qu'il ne manquera à personne. Et que dire de Miranda Lawson, pauvre petite fille à papa trop parfaite. Et puis, franchement, on a pas idée de combattre en talons aiguilles.
Cerberus m'a frustrée. Ils m'ont privée de mon Mako, de l'inventaire, de mes mods si pratiques et m'ont obligé à ne porter que mon armure N7 modifiée. En contrepartie ils ont rendu mes pouvoirs biotiques bien plus puissants, m'ont appris à combattre bien plus efficacement, et surtout, ils m'ont permis de voyager au delà de l'espace concillien, dans les sordides systèmes Terminus. Ils m'ont affectés à des missions annexes assez originales, bien plus que celles de l'Alliance.
J'ai vu les bas-fonds de l'hypnotisante station Oméga, j'ai vu Illium, aussi belle que corrompue, j'ai vu les entrailles d'un Moissonneur, j'ai accosté des vaisseaux Geths et Récolteurs, j'ai dressé un Varen sur Tuchanka, j'ai fait toutes ces choses qui n'auraient jamais pu être possibles avec l'Alliance. J'ai combattu Récolteurs, Moissonneurs et mercenaires pendant que le conseil de la Citadelle faisait profil bas, en attendant la chute. Liara m'a manqué terriblement durant cette période, j'ai trouvé réconfort auprès de Kelly Chambers, contremaître du Normandy SR-2. Kelly flirte beaucoup mais il me paraissait trop difficile de lui faire franchir le pas. J'étais frustrée, et vous savez ce que fait une femme qui ne peut avoir les faveurs d'une autre femme ? Elle va voir un homme. Bien sûr, j'aurai pu aller titiller Jacob mais cela aurait été cautionner son look de playboy m'a tu vu. C'est à Garrus que j'accorde mes faveurs. J'adore ce Turien, il est un peu gauche et il m'a beaucoup fait rire cette nuit là, par sa grande maladresse.
Aujourd'hui, nous sommes en 2186 et toute la galaxie est envahie par les Moissonneurs.
Après la mission suicide de Cerberus, j'ai essayé de rejoindre l'Alliance, mais ils m'ont disgraciée. J'en ai profité pour retourner sur Terre et m'entrainer au combat. Mes pouvoirs biotiques sont plus puissants que jamais, je maitrise un coup de poing chargé surpuissant et j'ai appris à faire des roulades. C'est amusant mais parfois je ne gère pas bien mon excitation et fait des roulades au lieu de me mettre à couvert. Et puis, quand les Moissonneurs ont débarqué, Anderson m'a réintégrée. L'Alliance à suivi les méthodes de Cerberus et a supprimé mon inventaire et ne m'a pas rendu mon Mako. Enfin, ça n'est pas grave j'ai de nouveau mes mods et des nouvelles armures.
J'ai revu Ashley, qui m'accuse de trahison parce que j'ai du collaborer avec Cerberus l'année dernière. Je la comprends mais franchement, elle ne s'est pas regardée. Elle, elle trahi toute la cause féminine en se prostituant de la sorte. Je suis sure qu'elle s'est fait refaire les lèvres, ou le nez, ou un truc comme ça. Ce sont des comiques chez l'Alliance, ils me font collaborer avec James Vega, le plus gros macho bodybuildé interstellaire que j'ai jamais vu. Ça doit surement être ma punition de mon épisode avec Cerberus. Il essaie de m'appeler "Lola" et me reluque de haut en bas et de bas en haut dès qu'il le peut. Je suis sure qu'il est gay mais, contrairement au lieutenant Cortez -qui est génial-, c'est un con. Et puis qu'il aille se faire foutre, franchement.
Oui, je suis vulgaire, pardonnez moi. C'est un tic de langage que j'ai pris depuis quelque temps. Je ne comprends pas pourquoi, mais tout le monde est plus vulgaire ces temps-ci. Ça doit être l'effet de la fin des mondes, même Joker s'y est mis. J'entends plus de "fils de pute", de "connard", de "ta gueule" et autres "enculé" que jamais, c'en est désolant. Alors pour suivre le mouvement, pour rester dans le coup, je crie des "on met la pression !" et des "on lâche rien !" pendant les batailles. J'aime pas trop, j'ai un peu honte, mais c'est dans l'air du temps. J'ai même lâché un "connard", ça ne me ressemble pas, je ne sais pas ce qui me prend, c'est étrange. J'ai l'impression de moins réfléchir avant de parler, d'être moins responsable de mes actes. Je n'aime pas ce sentiment, enfin, j'imagine que tout ça est dû au contexte d'urgence qui me surplombe, mais quand même, j'aurai aimé pouvoir m'en affranchir.
La fin des mondes rassemble. Turiens, Krogans, Humains, Quariens, Asaris, Volus, Elcors, Hanaris, Galariens, Butariens, Rachnis et Geths, unis dans la création du creuset pour combattre un ennemi commun plus puissant que jamais : les Moissonneurs. Et Cerberus qui sont franchement devenus dingues. L'homme de main de l'homme trouble est un adolescent attardé qui a lu un peu trop de comics, mais il est redoutable. Ils ne veulent pas détruire les Moissonneurs, mais les contrôler. Par contre, ils veulent la mort de tous ceux qui se trouvent sur leur route, soit environ toute la galaxie.
La fin des mondes m'offre une liberté et un spectacle d'une beauté insoupçonnée. Enfin, j'ai l'appui du conseil, enfin, l'Alliance m'autorise à voyager hors de l'espace concillien. J'ai accès librement à toute la galaxie, mais n'aurait pas le temps d'en profiter. Sortie de la Citadelle, je n'ai plus aucun moment de répit. D'un côté je n'ai pas franchement l'envie de marchander sachant qu'il y a un moissonneur au dessus de ma tête. Je revoit de nombreux collaborateurs des années 83 et 85, je suis heureuse d'apprendre leurs parcours et leurs contributions à ce combat.
A côté, la bataille de Palaven, le temple de Thessia, les catacombes de Tuchanka, les serveurs Geths, les cascades de Sur'Kesh, le soleil de Ranoch, la colonie de Bening sont quelques unes des rares beautés insondables que cette guerre nous aura offerte. Je suis heureuse de retrouver la citadelle, mon équipage aussi. Pour la première fois depuis trois ans, ils arrêtent de me suivre bêtement -quand ils ne restent pas dans le Normandy- et vaquent à leurs occupations. Sur la Citadelle il y a énormément de magasins en tout genre, les gens se parlent enfin, je surprends beaucoup de conversations, je m'en mêle même parfois. Face au mur, les gens s'ouvrent.
A croire qu'il faut une guerre galactique pour voir la beauté jaillir de toutes parts.
Je suis ravie de retrouver Garrus, Tali et Liara. Le prothéèn voulait se joindre à moi mais le prix était trop élevé, je suis sans doute passée à côté de la plus grande histoire de vie de la galaxie mais je ne me prostituerai pas, même pour ça.
Je reforme mon célèbre commando féminin et mets les choses au point avec Garrus : c'était amusant mais je ne veux que Liara, mon adorée. Je me rappelle de Kelly qui est morte devant mes yeux, et Samantha, sa remplaçante, flirte avec moi. Coucher avec elle n'est qu'une manière détournée d'accomplir ce que je ne pourrai jamais plus accomplir avec Kelly. C'est soit triste, soit morbide, je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que j'ai perdu Liara en faisant cela. J'essaie de la reconquérir, j'espère qu'elle saura un jour me pardonner.
J'ai donc vu Kelly mourir sous mes yeux l'année dernière, mais je n'arrête pas de faire des cauchemars où je cours au ralenti dans les bois pour sauver un gamin inconnu. Étrange mystère que le cerveau humain. J'essaie souvent de me réveiller pour abréger ces rêves absurdes, mais en vain.
J'écris ces lignes alors que nous nous apprêtons à jouer l'ultime carte contre les Moissonneurs. Le Normandy se dirige vers Londres et je ne sais pas si je sortirai vivante de cette bataille, beaucoup trop ont déjà péri en cette année 2186. Bien trop d'alliés inestimables. La liste est bien trop longue pour vous la détailler dans cette lettre, mais ils ont donné leurs vies parfois par héroïsme, parfois pour trahison. Avec cette lettre, j'espère qu'on ne m'oubliera pas.
Ces trois années passées furent intenses, belles, riches en rencontres, en exploration, en batailles épiques et en choix épineux. J'ai sauvé des vies, sacrifiés d'autres...
Parfois, je me questionne. J'ai fait beaucoup de choix difficiles ces trois dernières années. Et si j'avais choisi une autre voie, et si j'avais été quelqu'un d'autre ? Je me demande si les choses aurait pu être différentes. En fait, j'en suis persuadée. Je ne crois pas au destin, je crois que nous pouvons décider de l'issue des évènements, par nos choix. Je pense que nos actes sont le reflet de qui nous sommes vraiment, bien plus que nos dires. Si c'était à refaire, je ne suis pas certaine de tout recommencer de la même façon, cependant je suis restée entière, avec mes forces et mes faiblesses. Malheureusement, le temps est inaltérable et il faut parfois vivre avec nos décisions sur la conscience, il n'y a pas de touche "recommencer".
Ce serait trop facile si nos vies étaient des RPG.
"Keelah Se'lai",
Jane Shepard.