Annoncé fin 2013 au cours d'un trailer fait pour flatter les fans de Mega Man (dont votre serviteur fait partie), Mighty N°9 (orthographiez-le comme vous voulez) est un jeu de plate-forme qui était chargé de pallier l'absence du Blue Bomber sur nos écrans depuis 2010 et nous consoler de ses nombreux projets annulés entre 2010 et 2012 (Mega Man Universe, Legends 3, Maverick Hunter...). Cerise sur le gâteau, le jeu est orchestré par Keiji Inafune, collaborateur iconique de la série depuis le premier volet et son producteur depuis le milieu des années 1990.
Le projet est lancé via un Kickstarter qui explose tous les records en moins d'un mois. Jusque-là, tout va bien.
C'est ensuite que ça se complique. D'autres Kickstarter sont lancés dans la foulée (parfois pour améliorer le jeu, parfois pour financer d'autres projets), les premières images et trailers sont nettement moins sympathiques que les concept arts présentés dans la première bande-annonce, le jeu est repoussé à de nombreuses reprises pour finalement sortir 1 an et demi après sa date initiale...
Et à quelques jours de la sortie, la machine s'emballe. Un trailer sort et fait un badbuzz monstrueux à cause d'une mauvaise blague (nul doute que les fans auraient été plus cléments si les expressions faciales des personnages étaient un minimum travaillées et si les explosions ne ressemblaient pas à des pizzas peperonnis), une mauvaise traduction d'une interview de Keiji Inafune le fait passer pour un connard imbus de lui-même, les versions 3DS et Vita sont repoussées à une date inconnue (encore aujourd'hui on ignore si celles-ci sont toujours prévues), les premiers tests font état de ralentissements désastreux, en particulier sur Wii U...
Bref, le jeu rentre dans l'Histoire comme un des plus gros couacs de l'industrie vidéoludique et freinera pendant quelques années le nombre de jeux financés par Kickstarter. Le studio se fera finalement racheter par Level-5, ses autres projets sont mis entre parenthèses, et la sortie d'un Mega Man 11 effacera Mighty N°9 de l'inconscient collectif.
Sauf que le jeu, il est toujours là. Et s'il ne fait aucun doute que les 3 ans de communication autour de lui auront été un échec, on parle finalement peu du produit fini. Alors, Mighty N°9 tient-il plus du Superman 64 ou du Mega Man 2 ?
Elémentaire, mon cher Watson.
Une force inconnue a pris le contrôle de centaines de robots dans une ville high-tech, pas de pot. Heureusement, le docteur Wright (vous auriez quand même pu faire un minimum d'efforts sur le nom les gars...) possède un robot immunisé au virus : Beck, le neuvième robot de la série Mighty. Beck va devoir aller soigner ses frères en leur tirant dessus un maximum puis en leur donnant un bon coup de boule. Quel sens de la famille !
Le jeu suit la trame narrative classique d'un Mega Man. 8 Boss à abattre (les 8 premiers Mighty) dans l'ordre désiré puis quelques niveaux qui se débloquent une fois cette tâche accomplie. Petite variation amusante, on prend le contrôle de Call (la Roll de service) lors d'un des derniers niveaux. Elle est clairement moins cool à contrôler que Beck, mais allez, j'apprécie l'effort.
Si vous vous sentez d'humeur collectionneuse, un troisième personnage est disponible par défaut si vous possédez la version physique du jeu, ou via un DLC pour les autres. Celle-ci (car Ray s'identifie comme une femme, un problème le chofa ?) ressemble plus à Zero, son gameplay étant basé sur le corps-à-corps. Et comme Proto Man, elle est aussi victime de dysfonctionnements de batterie qui vous imposeront de terminer ses niveaux le plus vite possible et en prenant un minimum de dégâts, ça rajoute encore plus de dynamisme à ses stages, bien qu'il soit dommage qu'elle parcourt exactement les mêmes que ceux de Beck.
D'un point de vue du gameplay, Beck saute et tire au blaster (normal), il peut s'accrocher à des rebords (mais pas faire de walljumps à la Mega Man X), il peut tirer en diagonale tout en sautant en arrière (ça ne servira jamais, mais merci quand même), il peut multiplier les dashs au sol ou en l'air et surtout il gagne les armes de ses congénères vaincus. On y reviendra plus tard.
Contrairement à son cousin Rock, Beck a une option supplémentaire pour battre ses ennemis. S'il peut spammer les attaques jusqu'à ce que mort s'ensuive, il est bien plus rapide et gratifiant (le jeu a un système de high scores) de simplement affaiblir vos adversaires avant de leur rentrer dedans avec un dash. C'est assez déconcertant au début, mais on prend très vite le pli et ça permet de faire de jolies actions tout en conservant un rythme effréné (là-dessus au moins, le trailer n'a pas menti).
Les niveaux sont dans l'ensemble bien construits et respectent ce qu'on attend d'un Mega Man. D'une durée raisonnable, ils paraissent ardus lors de vos premiers essais mais vous font vous sentir en total contrôle de la situation si vous prenez votre temps pour analyser et comprendre leurs gimmicks.
En plus de ça, le jeu vous récompense si vous faites les niveaux dans un certain ordre. Un Boss battu peut en effet intervenir dans le niveau d'un de ses confrères pour vous libérer le passage. Le Boss de l'eau peut créer des court-circuits dans le niveau de l'électricité pour vous faciliter la tâche par exemple. C'était déjà présent dans Mega Man X, mais le concept est mieux exploité ici puisqu'on voit vraiment les Boss intervenir, ça permet de s'attacher un peu à eux.
Graphiquement, le jeu n'est pas franchement joli, surtout comparé aux premiers artworks qui avaient circulé et qui laissaient imaginer un beau jeu dessiné à la main, comme Rayman Origins. Le design de l'environnement est quelconque, les personnages sont trop statiques pendant les cinématiques (animez au moins une bouche qui s'ouvre, merde !) et globalement les effets de lumière ou de particules sont faiblards, pour ne pas dire inexistants. Peut-être est-ce ce qu'Inafune désirait depuis le début, mais ça fait quand même cheapos pour le jeu ayant eu la campagne de financement participative la plus lucrative de tous les temps.
Néanmoins, difficile de reprocher au jeu d'être foncièrement laid ou illisible. Les personnages sont plutôt réussis, que ce soient les Boss (plus sympas que ceux de MM11 je trouve), les ennemis de base ou notre héros, et la sobriété des effets et de la modélisation permet finalement au jeu d'être très clair et de ne pas induire le joueur en erreur à des moments critiques (on sait où s'arrête chaque plate-forme, Beck ne se fond jamais dans le décor...).
Accessoirement, je n'ai connu aucun ralentissement sur mon PC, le jeu a toujours été fluide malgré ma configuration modeste. Peut-être que les versions consoles étaient mal optimisées ou qu'un patch a réglé tout ça après la sortie, mais bon. En l'état, le jeu est parfaitement jouable, à défaut d'être une claque graphique.
Un mot sur les musiques, grande force des Mega Man. Hélas ici, le contrat n'est pas rempli. Si les compositions ne sont pas désagréables, elles manquent cruellement de punch et vous les oublierez sitôt le niveau bouclé. Le title theme du jeu, tout en mélancolie, est sympathique mais même lui ne tient pas 2 secondes la comparaison face à ceux de Mega Man 2 ou Mega Man 3.
Le jeu a également la bonne idée de proposer des doublages dans de nombreuses langues. La VF est de bonne facture, si vous arrivez à vous sortir de la tête le fait que Beck ait la voix de Bob l'Eponge. Par contre, la doubleuse de Call a pris un peu trop au pied de la lettre le mémo "Mon personnage est un robot", parce que mon Dieu que son intonation est monotone !
Bon, avec tout ça, on obtient tout de même un plateformer correct, qui tient en respect certains titres du Blue Bomber sans problème. Sauf que le jeu accumule les micro-erreurs de game- et level-design qui s'avèrent frustrantes à la longue. Petit tour de piste des moments où le jeu se prend les pieds dans le tapis.
M-aïe-ty
Un truc qui m'a fait halluciner dans ce jeu, c'est qu'on a un écran complet réservé aux tutoriels, c'est limite angoissant quand on se retrouve devant pour la première fois. Si certaines infos sont parfaitement inutiles ("sautez avec le bouton de saut", "la glace ça glisse"...), une poignée ont tout de même de l'intérêt, en particulier la description des différents bonus que l'on peut ramasser dans les niveaux.
Problème, le propre d'un Mega Man, c'est justement de ne pas avoir de tutoriels et de laisser le joueur expérimenter par lui-même (la célèbre vidéo d'Egoraptor est une illustration parfaite de ce concept). Le jeu n'a certes pas un gameplay complexe, mais si tu t'amuses à le décomposer en une trentaine de panneaux à lire, c'est juste décourageant et ça n'incite pas à tout lire tellement c'est long.
Autre problème, les armes qu'on récupère après avoir vaincu un Boss. Dans les Mega Man, ces armes servent à trouver des passages secondaires dans d'autres niveaux, et surtout à simplifier les combats de Boss grâce à un habile système de pierre-feuille-ciseaux. Or là, j'ai peut-être mal compris un truc, mais j'ai l'impression que toutes les armes font les mêmes dégâts aux Boss, aucun ne semble avoir de faiblesse particulière.
Pire, les passages secrets sont aussi rares qu'un roux possédant une âme. Résultat, on n'utilise jamais les armes des Boss et on reste avec le flingue de base, qui a une bonne portée et une bonne cadence. Le seul moment où les armes de Boss sont requises, c'est lors de l'avant-dernier niveau, un niveau comprenant quelques énigmes sympas et qui nécessitent...2 armes de Boss pour les passer. Voilà, les 6 autres, poubelle, elles servent à rien.
Quelques détails sur le level-design maintenant. J'aimerais parler du niveau du Capitole, qui propose un concept intéressant sur le papier : le niveau est une boucle sans fin et il faut dénicher le Boss qui peut se planquer un peu partout et le canarder avant qu'il ne se téléporte dans une autre pièce.
Problème : c'est chiant. On visite à peine 10 pièces dans tout le Capitole, donc c'est très vite répétitif (il vous faudra bien repasser 3 ou 4 fois dans chaque pièce) et le Boss a tendance à se téléporter avant que vous n'ayez pu le toucher, prolongeant encore plus le combat. En plus, toutes les pièces sont situées au même niveau, il n'y a pas d'étage supérieur ou de cave, ce qui augmente encore plus l'impression de courir dans un couloir sans but.
Et évidemment, c'est le seul niveau sans checkpoint. Si vous mourez après 5 minutes de recherches laborieuses, il faudra tout reprendre du début. Fun.
Enfin, la plus grosse aberration du jeu a lieu dans le niveau de l'électricité.
Il y a un engrenage à un moment qui demande de vous baisser pour le passer. Facile, Beck se baisse automatiquement en dashant. Faites ça et...vous mourez.
"Diantre, aurais-je mal exécuté l'action ?", vous direz-vous. "Après tout, l'engrenage est long, je vais essayez de me placer plus au bord."
Vous recommencez en prenant vos précautions et...vous mourez.
"Mmh...je devrais presser le bouton plus longtemps."
Après 12 essais infructueux, un passage dans une maison de repos et le sacrifice d'une vierge, vous ne parvenez toujours pas à passer ce maudit engrenage.
La solution ?
Il fallait se baisser avant de dasher.
C'est dit dans le tutoriel de 30 pages.
Dans un petit encart.
Et à aucun autre moment du jeu on en a besoin.
Les mecs ont codé une fonctionnalité qui n'est utile que pour passer UN obstacle complètement random du jeu. C'est ridicule.
Et c'est pas comme si ce dash accroupi vous permettait de gagner plus de points face aux ennemis ou vous propulsait plus loin, non, c'est exactement le même que le dash normal. Il existe juste pour vous faire chier sur CE passage bien précis. Au risque de me répéter, c'est aberrant.
Grey Bomber
Mighty N°9 est un jeu honnête, bénéficiant d'un gameplay fluide et dynamique (en particulier avec Ray) et qui profiterait grandement d'une suite pour gommer ses défauts, nombreux mais facilement corrigeables. J'aurais mis 1 point de plus sans ses problèmes de level-design.
Ca n'est certainement pas l'étron que certains prétendent, bien que le CV de son créateur nous laissait espérer un meilleur produit final. Ce jeu-ci n'est en tout cas pas plus mauvais que le tout premier Mega Man, et il est bien dommage que ses couacs de communication l'aient condamné avant même sa sortie. Reverra-t-on Beck un jour, dans un produit qui ne soit pas un mini-jeu 8-bits finissable en 20 minutes ? J'en doute, mais c'est tout le mal que je lui souhaite.